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TROISIÈME ENNÉADE.


aucun vestige de la grandeur réelle ou de quelque qualité. Que ferait cet être avec une telle puissance ? Il ne créerait ni un cheval, ni un bœuf : car d’autres causes [les raisons séminales] les produiront. [Il créerait la grandeur qui existe dans la matière, c’est-à-dire la grandeur apparente]. En effet, la chose qui procède de la grandeur même ne peut être la grandeur réelle ; elle sera donc la grandeur apparente[1]. Ainsi, puisque la matière n’a pas reçu la grandeur réelle, il ne lui reste plus que d’être grande dans sa nature autant qu’il lui est possible, c’est-à-dire de paraître grande : pour cela, elle doit ne manquer nulle part, et, si elle s’étend, n’être pas une quantité discrète, mais avoir ses parties liées ensemble, et n’être absente d’aucun lieu. En effet, il était impossible qu’il y eût dans une petite masse une image de la grandeur qui égalât la grandeur réelle, puisque ce n’est qu’une image de la grandeur ; mais, entraînée par l’espérance d’atteindre la grandeur à laquelle elle aspirait, cette image s’est étendue autant qu’elle le pouvait avec la matière, qui a partagé son extension parce qu’elle ne pouvait pas ne pas la suivre. C’est ainsi que cette image de la grandeur a rendu grand ce qui ne l’était pas (sans cependant le faire paraître réellement grand), et a produit la grandeur qui apparaît dans la masse. La matière n’en conserve pas moins sa nature, quoiqu’elle soit voilée par cette grandeur apparente, comme par un vêtement dont elle s’est couverte quand elle a suivi la grandeur qui l’entraînait dans son extension. Si la matière venait jamais à se dépouiller de ce vêtement, elle demeurerait néanmoins ce qu’elle était en elle-même auparavant : car elle n’est

  1. « La matière est l’image de l’étendue, parce qu’étant matière première elle possède l’aptitude à devenir étendue, etc. » (Enn. II, liv. IV, § 11 ; t. I, p. 211.) Cette argumentation de Plotin semble dirigée contre Modératus de Gadès, ainsi que nous l’avons déjà expliqué dans le tome I, p. 214, note 1.