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LIVRE SIXIÈME.


grande qu’autant que la forme la rend telle par sa présence[1].

L’âme, possédant les formes des êtres et étant elle-même une forme, possède toutes choses à la fois[2]. Ayant en elle-même toutes les formes, voyant d’ailleurs les formes des objets sensibles se tourner vers elle et approcher d’elle, elle ne veut pas les recevoir avec leur multiplicité ; elle ne les considère qu’en faisant abstraction de leur masse : car elle ne saurait devenir autre qu’elle est[3]. Mais la matière, n’ayant point la force de résister (car elle ne possède aucune activité propre), et n’étant qu’une ombre, se prête à tout ce que veut lui faire éprouver la puissance active. En outre, ce qui procède de l’essence intelligible possède déjà un vestige de ce qui doit être produit dans la matière. C’est ainsi que la raison discursive, qui se meut dans le champ de l’imagination représentative (ἐν φαντασίᾳ εἰϰονιϰῇ), ou le mouvement que la raison produit, implique division : car, si la raison restait dans l’unité et dans l’identité, elle ne se mouvrait pas, elle demeurerait dans le repos. D’ailleurs la matière ne peut, ainsi que le fait l’âme, recevoir toutes les formes à la fois ; sinon, elle serait une forme. Comme elle doit contenir toutes choses, sans cependant les contenir d’une manière indivisible, il est nécessaire que, servant de lieu à toutes choses, elle s’étende vers toutes, s’offre partout à toutes, et ne manque à aucun espace, parce qu’elle n’est resserrée dans les bornes d’aucun espace et qu’elle est toujours

  1. « La matière pure et simple doit recevoir d’un autre principe son étendue. Donc le réceptacle de la forme ne saurait être une masse ; en recevant l’étendue, il reçoit encore les autres qualités. » (Enn. II, liv. IV, § 11 ; t. I, p. 212.)
  2. Voy. Enn. IV, liv. VI, § 3.
  3. « Les formes des corps se produisent, non dans l’étendue, mais dans un sujet qui a reçu l’étendue. Si elles se produisaient dans l’étendue au lieu de se produire dans la matière, elles n’auraient ni étendue ni substance : car elles ne seraient que des raisons. Or, comme les raisons résident dans l’âme, il n’y aurait pas de corps. » (Enn. II, liv. IV, § 12 ; t. I, p. 214.)