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TROISIÈME ENNÉADE.


drait-il mieux dire simplement : l’Être[1]. Mais bien que le nom d’Être suffise pour désigner l’Essence, comme plusieurs philosophes ont confondu l’essence avec la génération, il a fallu pour s’expliquer plus clairement ajouter au nom d’Être le terme de toujours. En effet, quoiqu’on ne désigne qu’une seule et même chose quand on dit l’Être et l’Être qui est toujours, comme lorsqu’on dit le philosophe et le vrai philosophe ; cependant, comme il y a de faux philosophes, il a fallu joindre au mot philosophe celui de vrai[2] ; et de même, il a fallu joindre le mot toujours à celui d’Être, et celui d’Être à celui de toujours : de là dérive l’expression ἀεὶ ὄν (l’Être qui est toujours), et par suite αἰών (l’Éternité). Donc l’idée de toujours doit être unie à celle d’Être de manière à désigner l’Être véritable.

Toujours doit donc être appliqué à la puissance qui n’a point d’intervalle dans son existence, qui n’a besoin de rien en dehors de ce qu’elle possède, parce qu’elle possède tout, qu’elle est tout être, et qu’ainsi elle ne manque de rien. Une telle nature n’est pas complète sous un rapport, incomplète sous un autre. Ce qui est dans le temps, parût-il complet (comme paraît complet un corps qui suffit à l’âme, mais qui n’est complet que par l’âme), ce qui est dans le temps, dis-je, a besoin du futur, et, par conséquent, est incomplet sous le rapport du temps dont il a besoin ; quand il arrive à jouir du temps auquel il aspire et à s’y unir, quoiqu’il soit encore imparfait, il est alors appelé parfait par homonymie. Mais l’Être qui a pour caractère de n’avoir pas besoin du

  1. « Dieu est : tout ce que vous ajoutez à ces deux mots, sous les plus beaux prétextes, obscurcit au lieu d’éclaircir. Dire qu’il est toujours, c’est tomber dans une équivoque, et se préparer une illusion : toujours peut vouloir dire une succession qui ne finit point, et Dieu n’a point une succession de siècles qui ne finisse jamais. Ainsi dire qu’il est est plus que dire qu’il est toujours. » (Fénelon, De l’Existence de Dieu, II, ch. 5, § 4.)
  2. Voy. Aristote, Métaphysique, III, 2.