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LIVRE TROISIÈME.


trer dans le corps et après en être sortie ? Non : c’est quand elle est dans un corps qu’elle raisonne, parce qu’elle est incertaine, embarrassée, affaiblie : car, avoir besoin de raisonner pour arriver à une connaissance complète trahit toujours l’affaiblissement de l’intelligence[1]. Le raisonnement intervient dans les arts quand l’artiste hésite devant quelque obstacle ; mais, là où il n’y a pas défaut dans la matière, l’art la maîtrise et produit son œuvre instantanément[2].

Mais [dira-t-on], si les âmes ne raisonnent pas là-haut, elles ne seront plus raisonnables. — Elles sont raisonnables, parce qu’elles peuvent bien pénétrer l’essence d’une chose, quand l’occasion l’exige. Voici d’ailleurs l’idée qu’il faut se faire du raisonnement : si l’on admet qu’il consiste dans une disposition qui dérive toujours de l’Intelligence, dans un acte immanent, un reflet de cette puissance dans les âmes, celles-ci raisonnent aussi dans le monde intelligible ; mais alors elles n’ont aucun besoin du langage[3]. De même, quand elles

  1. Sur la différence de la Raison discursive et de l’Intelligence, Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 326-328. La doctrine de Plotin sur ce point est fort bien résumée dans le passage suivant de saint Augustin : « Ita fortasse Ratiocinatio nominatur, ut Ratio sit quidam mentis aspectus, Ratiocinatio autem rationis inquisitio, id est aspectus illius per ea quæ aspicienda sunt motu. Quare ista opus est ad quœrendum, illa ad videndum. Itaque quum ille mentis aspectus, quem Ratiotiem vocamus, conjectus in rem aliquam videt illam, scientia nominatur. » (De Quantitate animœ, 27.)
  2. Voy. ci-après liv. IV, § 12.
  3. « Ces saints anges n’apprennent pas à connaître Dieu par des paroles sensibles, mais par la présence même de la parole immuable de la vérité, c’est-à-dire par le Verbe, Fils unique de Dieu… C’est encore ainsi qu’ils connaissent les créatures, non en elles-mêmes, mais dans la sagesse de Dieu comme dans l’art qui les a produites ; par conséquent, ils se connaissent mieux en Dieu qu’en eux-mêmes… Or, il y a une grande différence entre connaître une chose dans la raison qui est la cause de son être, ou la connaître en elle-même ; comme on connaît autrement les figures des mathématiques en les contemplant par