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LIVRE QUATRIÈME.


notre âme et par nos dispositions, nous devenons, ou plutôt nous sommes semblables, d’un côté, aux êtres inférieurs du monde démoniaque, de l’autre côté, aux êtres supérieurs du monde intelligible. Nous ne pouvons donc ignorer notre nature. Nous ne donnons pas, nous ne recevons pas tous la même chose. Comment pourrions-nous en effet communiquer aux. autres le bien si nous ne le possédions pas ? le recevoir, si notre nature n’en était pas capable ?

Ainsi, l’homme pervers montre ce qu’il est et est poussé par sa nature vers ce qui le domine déjà, soit pendant qu’il est ici-bas, soit lorsque, sorti d’ici-bas, il passe dans le lieu où l’entraînent ses penchants. L’homme vertueux, au contraire, a sous tous ces rapports un sort différent. Chacun est ainsi poussé par sa nature, comme par une force occulte, vers le lieu où il doit aller. Il y a donc dans cet univers une puissance et un ordre admirables, puisque, par une voie secrète et cachée, chacun est conduit à la condition que lui assigne la justice divine[1] et à laquelle il ne saurait échapper. L’homme pervers l’ignore et est à son insu conduit au lieu qu’il doit occuper dans l’univers. L’homme sage le sait, et se rend de lui-même à la place qui lui est destinée : avant de sortir de la vie, il connaît quel séjour l’attend nécessairement, et l’espérance d’habiller un jour avec les dieux vient remplir sa vie de bonheur[2].

  1. Voy. ci-dessus, p. 289-293. L’expression employée ici par Plotin, ἀψόφῳ ϰελεύφῳ ϰατά δίϰην, paraît empruntée aux vers suivants d’Euripide :

    Ζεὺς, εῖτ ἀνάγϰη φύσεως, εἴτε νοῦς βροτῶν,
    προσηυξάμεν σε· πάντα γαρ, δε’ ἀψόφου
    βαίνων ϰελεύθου, ϰατὰ δίϰην τὰ θνήτ’ ἄγεις.

    (Troyennes, vers 846.)
  2. Ce passage est cité et commenté en ces termes par le P. Thomassin dans ses Dogmata theologica, t. I, p. 81 : « Denique ita definit Plotinus partes universi alias ab aliis, universas a toto pendere, ad totum spectare et referri. Hinc multa quæ singulis