Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
515
TROISIÈME ENNÉADE, LIVRES II ET III.


uni : cette matière est le monde[1]. Dieu circule dans le monde, disaient les Stoïciens, comme le miel court dans les cellules d’un rayon[2] ; il pénètre le monde dans toutes ses profondeurs, et en même temps il en embrasse l’immense contour ; il l’occupe par le dedans et le dehors : « Intra et extra tenet[3] ; » il en remplit, par sa tension l’étendue tout entière : « Divinus spiritus per omnia intensus. » Et c’est en s’y mouvant lui-même qu’il le meut. Bien plus, Dieu peut être appelé le monde même et la nature : car, de même que chaque être n’est que le développement de sa raison séminale, de même le monde entier est un développement de Dieu[4]. » (Sur le Stoïcisme, Mém. de l’Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXI, p. 64.)

Plotin a emprunté aux Stoïciens la conception du monde considéré comme un tout sympathique à lui-même, administré par une grande Âme dont l’essence est la Raison, unité de laquelle sortent la multitude des contraires qui en sont le développement, et à laquelle se rapportent les oppositions qui constituent toutes des parties de l’Ordre universel. Mais, en faisant cet emprunt, Plotin a complètement transformé la doctrine dont il s’inspirait, non seulement par le génie avec lequel il l’expose, mais encore par les modifications radicales qu’il fait subir aux principes des Stoïciens. En effet, il se sépare d’eux formellement sur trois points : il rejette nettement et combat avec autant de force que de raison leur panthéisme, leur fatalisme et leur matérialisme. Pour le matérialisme, la chose est facile à voir : selon les Stoïciens, la Raison séminale qui anime l’univers est un corps, un feu subtil ; selon Plotin, au contraire, la Raison qui administre le monde est une Âme présente partout, mais incorporelle[5]. Ce point est trop bien établi dans les Ennéades pour que nous ayons besoin d’insister ici. Mais, ce que Plotin dit sur la question du panthéisme et du fatalisme a besoin de plus de développement.

1. Polémique de Plotin contre le Panthéisme et le Fatalisme des Stoïciens.

C’est un principe fondamental du panthéisme qu’il n’existe dans l’univers qu’un seul être réel et qu’une seule cause véritablement

  1. Sénèque, Consol. ad Helv., 8.
  2. Tertullien (De Anima, 44) : « Stoici enim volent Deum sic per materiam decucurrisse, quomodo mel per favos. »
  3. Sénèque, Quæst. nat., præf.
  4. Sénèque, De Benef., IV, 7 ; Quæst. nat., II, 45.
  5. Ce point a été parfaitement éclairci par M. Ravaisson dans son Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 384-397.