Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/730

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
680
ÉNÉE DE GAZA.


cence ? car les anciens disent qu’apprendre, c’est se souvenir. Selon eux, l’âme se souvient du Démiurge et de la beauté intelligible dont elle est éloignée depuis longtemps, et elle a oublié complétement sa vie précédente, ses goûts, les choses qui lui sont arrivées, sa patrie et ses parents dont elle s’est séparée récemment. Comment expliquer qu’elle se rappelle les joies et qu’elle ait oublié les douleurs, dont ordinairement l’empreinte se grave si profondément dans la mémoire ? Quand je châtie mon fils ou mon serviteur, avant de leur infliger une punition, je leur répète plusieurs fois la raison pour laquelle je les punis et je leur recommande de s’en souvenir pour ne plus tomber dans la même faute ; et Dieu, qui établit contre les fautes les derniers châtiments, n’instruirait pas ceux qu’il punit du motif pour lequel il les punit, mais il leur ôterait le souvenir de leurs fautes en même temps qu’il leur donnerait un sentiment très-vif de leur peine ! À quoi servirait donc la peine si elle laissait ignorer la faute ? Elle ne ferait qu’irriter le coupable et le pousser à la démence. N’aurait-il pas le droit d’accuser son juge, s’il était puni sans avoir conscience d’avoir commis aucune faute ?


IV. Il n’est point nécessaire d’admettre la doctrine de la Métempsycose pour répondre aux objections que le spectacle des choses humaines fait élever contre la Providence[1].


L’homme de bien ne peut être malheureux, ni l’homme vicieux posséder la félicité véritable[2]. La vertu ne saurait être dépouillée du plus beau privilége de notre nature, de la liberté, qui concourt pour sa part à l’ordre de l’univers[3]. C’est en vertu de cet ordre que le soleil luit également pour le bon et le méchant[4]. On n’attache tant d’importance aux imperfections de l’homme que parce qu’on lui assigne dans la création un rang trop élevé, qu’on méconnaît sa nature, qui est d’être intermédiaire entre l’ange et la bête[5]. Il ne faut pas demander pour les êtres une essence supérieure à celle qu’ils ont reçue de Dieu : la pierre est bien en tant que pierre, l’arbre en tant qu’arbre, etc. ; il n’y a rien dans la création qui soit vil[6]. Étant libre, l’homme peut également faire le bien et le mal. Si, n’exerçant pas la raison qu’il a reçue de Dieu, il est vicieux et malheureux, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même[7]. Dieu fait d’ailleurs rentrer

  1. Éd. Boissonade, p. 21-30. Dans le long morceau sur la Providence dont nous donnons ici le résumé, il y a une foule d’idées et d’expressions qu’Énée emprunte à Plotin sans le nommer.
  2. Voy. Plotin, Enn. III, liv. II, § 6 ; t. II, p. 35.
  3. Ibid., § 5, p. 32.
  4. Ibid., § 8, p. 42.
  5. Ibid., § 8, p. 41.
  6. Ibid., § 9, p. 45 ; § 13, p. 53, § 14, p. 55.
  7. Ibid., § 7, p. 38.