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ÉNÉE DE GAZA.


forme et de matière, et que la matière est engendrée, comme le dit Porphyre[1] : il ne servirait de rien de soutenir ici, par une distinction subtile, que le monde a été engendré en ce sens qu’il a une cause, mais non en ce sens qu’il ait eu un commencement[2], puisque la matière est postérieure au Démiurge, comme Plotin l’affirme expressément[3]. Par la même raison, le monde aura une fin, parce qu’étant composé il est corruptible, ainsi que Platon l’admet dans le Timée[4], et qu’il se dissoudra quand la matière, dans son passage continuel de la génération à la corruption, aura manifesté par la variété de ses formes toute la variété et la beauté des idées. Alors Dieu, transformant le monde, le rendra immortel comme nos corps. Il vaut mieux admettre que le monde subira à la fin des temps un changement définitif que de croire, comme les Stoïciens, qu’il périt et renaît périodiquement.

Théophraste. Nous avons oublié une chose, c’est que nous disons que les autres essences intellectuelles et raisonnables sont déterminées sous le rapport de la mesure, tandis que le nombre des âmes humaines n’aura pas de mesure si l’on n’admet point que la même âme passe successivement dans plusieurs corps[5].

Euxithéus. La multitude des âmes humaines est illimitée par rapport à nous, mais limitée par rapport au Créateur, de même que les autres essences raisonnables que tu ne saurais compter ont été comptées par Dieu. Toutes les choses qu’il a embrassées sont indéterminées pour nous, mais déterminées pour lui. Il est lui-même la mesure par laquelle il les a embrassées. Pour les essences immatérielles et raisonnables, la multitude ne resserre point l’espace : car toutes forment une unité, chacune remplit le tout, le tout contient chacune, et elles ne se font pas obstacle l’une à l’autre comme les corps matériels[6]. On voit dans les plantes une image de ce dont nous parlons : on peut d’un seul arbre séparer des milliers de rejetons ; chacun d’eux possède la totalité de la vie, en sorte qu’il produit lui-même d’autres rejetons si on le confie à la terre ; le grand arbre n’en continue pas moins à posséder la totalité de la vie[7]. De même, quoique d’un seul être naissent une infinité d’êtres [immatériels et raisonnables]. Tous n’en forment qu’un[8] ; aucun d’eux ne ressemble au principe dont ils naissent tous, et, quoique leur nombre semble aller à l’infini, il

  1. Voy. ci-après, p. 686.
  2. C’est l’opinion commune des Néoplatoniciens. Voy. Plotin, Enn. II, liv. IX, § 3.
  3. Voy. Plotin, Enn. II, liv. IV, § 7.
  4. Voy. Platon, Timée, p. 33.
  5. Voy. Jamblique, De l’Âme, § X, p. 647, fin.
  6. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXXIX ; t. I, p. LXXXI.
  7. Cette belle comparaison est empruntée à Plotin, Enn. III, liv. III, § 7.
  8. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. IX, § 5.