Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
686
ÉNÉE DE GAZA.


donc engendré volontairement et l’a produit par son pouvoir. Par cet Esprit, il inspire les êtres intelligibles et sensibles, les remplit de sa puissance, les contient et les attire à lui : car le Saint-Esprit convertit et attire vers le Père tout ce qu’il touche. Ainsi, la grande sagesse et la puissance éternelle du Père, l’unité, la divine Trinité, qui n’admet point le plus et le moins (car elle est une seule essence), a produit et constitué avant le temps les substances intellectuelles ; car elle voulait qu’il y eût des êtres auxquels elle accordât ses bienfaits. C’est pourquoi elle a créé les puissances intellectuelles qui sont capables de jouir du bien et des premiers dons de la Divinité : car un être bon ne saurait concevoir aucune envie[1]. Dieu n’est donc pas resté dans l’oisiveté avant la création des êtres sensibles. Il a fait après les premiers êtres le ciel, auquel le temps doit son origine, la terre, l’air et la mer. Il produit librement des choses différentes en des temps différents, il opère toujours lui-même, il donne à l’univers la matière, la tire de sa torpeur, la dispose, l’arrange et l’embellit : car il ne faut pas admettre que la matière n’ait pas été engendrée et n’ait point de principe. C’est ce qu’enseignent les Chaldéens ainsi que Porphyre : ce philosophe a écrit un livre[2] dans lequel il cite les Oracles Chaldaïques qui affirment que la matière a été engendrée ; ailleurs, commentant le livre de Plotin De l’Origine des maux[3], il dit que c’est une impiété de soutenir que la matière est non-engendrée et de la mettre au nombre des principes. Si donc la matière est engendrée, si elle n’est point un principe, si elle est le dernier degré de l’être[4], comment le monde sensible pourrait-il être non-engendré, ne pas avoir de principe, être antérieur au temps ? Car ce qui a été fait avec la matière ne saurait être antérieur à la matière…… [La matière d’ailleurs n’est pas coéternelle

  1. Voy. Platon, Timée, p. 18 ; et Plotin, Enn. II, liv. IX, § 17.
  2. Ἐπιγράφει δὲ ϰαθόλου τὸ βίϐλιον (Epigraphei de katholou to biblion). Dans ce passage, dont le texte est évidemment corrompu, le mot ϰαθόλου (katholou) a beaucoup exercé la sagacité des érudits, qui ont voulu y retrouver le titre indiqué par le verbe ἐπιγράφει (epigraphei). Après avoir critiqué ses prédécesseurs, M. Boissonade (note 439, p. 270) propose de lire : περὶ ϰαθόδου (peri kathodou), De la Descente de l’Âme, conjecture inadmissible, puisque Porphyre n’a point composé de livre sous ce titre. Nous croyons qu’Énée a dû citer ici le traité de Porphyre Sur la matière, et qu’il avait écrit : περὶ ὕλης ϰαθόλου (peri hulês katholou).
  3. C’est le livre viii de l’Ennéade I. Plotin y affirme (§ 7) que la matière est le dernier degré de l’être (τὸ ἔσχατον (to eschaton)) au delà duquel rien ne peut plus être engendré.
  4. Au lieu d’ἔσχατος (eschatos), lisez ἔσχατον (eschaton), comme dans la phrase de Plotin que nous avons citée ci-dessus et à laquelle Énée fait évidemment allusion.