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LIVRE DEUXIÈME.


soin d’harmonie, parce qu’il a été formé par le concours de l’Intelligence et de la nécessité[1]. La nécessité pousse le monde sensible au mal et à ce qui est irrationnel, parce qu’elle est elle-même irrationnelle ; mais l’Intelligence domine la nécessité. Le monde intelligible est uniquement Raison ; nul autre ne saurait être tel. Le monde qui est né de lui devait lui être inférieur, et n’être ni uniquement Raison, ni uniquement matière : car, avec la matière seule, il n’y avait pas d’ordre possible. Le monde sensible est donc un mélange de la matière et de la Raison[2] : ce sont là les éléments dont

    esse autem, quoniam id quod est, non sunt. Id enim vere est quod incommutabiliter manet. Mihi autem inhærere Deo bonum est, quia, si non manebo in illo, nec in me potero. Ille autem in se manens innovat omnia. Et Dominus Deus meus es, quoniam bonorum meorum non eges. » Fénelon a dit à son tour, d’après S. Augustin : « Tout ce qui n’est point Dieu ne peut avoir qu’une perfection bornée, et ce qui n’a qu’une perfection bornée demeure toujours imparfait par l’endroit où la borne se fait sentir et avertit que l’on y pourrait encore beaucoup ajouter. La créature serait le Créateur même s’il ne lui manquait rien : car elle aurait la plénitude de la perfection, qui est la Divinité même. Dès qu’elle ne peut être infinie, il faut qu’elle soit bornée en perfection, c’est-à-dire imparfaite par quelque côté. » (De l’Existence de Dieu, I, chap. 3.) Voy. encore le passage de S. Augustin que nous avons cité dans le tome I, p. 267, note 5.

  1. Ici la nécessité signifie la matière, comme on le voit par la phrase suivante. Plotin fait allusion à un passage du Timée que nous avons déjà cité (t. I, p. 428) et dans lequel Platon dit : « La naissance du monde a été produite par un mélange de la nécessité et de l’action d’une intelligence ordonnatrice, etc. » Voy. aussi les passages du Politique et des Lois cités dans les Éclaircissements du tome I, p. 429-431.
  2. « Il n’y a rien dans l’univers qui ne porte et qui ne doive porter également ces deux caractères si opposés : d’un côté, le sceau de l’ouvrier sur son ouvrage, d’un autre côté, la marque du néant d’où il est tiré et où il peut retomber à toute heure. C’est un mélange incompréhensible de bassesse et de grandeur, de fragilité dans la matière et d’art dans la façon. » (Fénelon, De l’Existence de Dieu, I, chap. 3.)