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TROISIÈME ENNÉADE.


il se compose. Quant au principe dont il procède, c’est l’Âme qui préside au composé ; il ne faut pas d’ailleurs croire que ce soit un travail pour l’Âme : car elle administre facilement l’univers par sa seule présence[1].

III. On n’a point le droit de blâmer ce monde, de dire qu’il n’est pas beau, qu’il n’est pas le meilleur possible des mondes corporels, ni d’accuser la cause dont il tient l’existence[2]. D’abord, ce monde existe nécessairement : il n’est pas l’œuvre d’une détermination réfléchie ; il existe parce qu’une essence supérieure l’engendre naturellement semblable à elle-même. Ensuite, lors même que sa création serait le résultat d’une détermination réfléchie, elle ne saurait faire honte à son auteur : car Dieu a fait l’univers beau, complet, harmonieux ; il y a mis un heureux accord entre les grandes parties comme entre les petites. Celui qui blâme l’ensemble du monde en ne considérant que ses parties est donc injuste ; il devrait examiner les parties dans leur rapport avec l’ensemble, voir si elles sont en accord et en harmonie avec lui ; enfin, en étudiant l’ensemble, il devrait ne pas s’arrêter aux moindres détails[3]. Sinon, au lieu d’accuser le monde, il ne fait que critiquer quelques-unes de ses parties. Il ressemble à celui qui, au lieu de considérer l’admirable spectacle que présente l’homme pris dans son ensemble, ne regarderait qu’un cheveu ou qu’un doigt du

  1. Voy. Enn. II, liv. IX, § 2 ; t. I, p. 262.
  2. Voy. t. I, p. 267, 277-279, 305-307 et les notes de ces pages où sont cités deux passages de S. Augustin.
  3. « Il n’est point question de critiquer ce grand ouvrage… Souvent même ce qui paraît défaut à notre esprit borné, dans un endroit séparé de l’ouvrage, est un ornement par rapport au dessein général, que nous ne sommes pas capables de regarder avec des vues assez simples pour connaître la perfection du tout. N’arrive-t-il pas tous les jours qu’on blâme témérairement certains morceaux des ouvrages des hommes, faute d’avoir assez pénétré toute l’étendue de leurs desseins ? » (Fénelon, De l’Existence de Dieu, I, chap. 3.) La même idée a été également développée par Leibnitz dans plusieurs passages de sa Théodicée, II, § 134, 146, 214.