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TROISIÈME ENNÉADE.

dence, elle lui fait accomplir ce que cette loi ordonne. Or cette loi ordonne que la vie des hommes qui sont devenus vertueux soit bonne ici-bas et après leur mort, que les méchants aient un sort contraire[1]. Il n’est pas permis de demander qu’il y ait des hommes qui s’oublient eux-mêmes pour venir sauver les méchants, lors même que ces derniers adresseraient des vœux à la Divinité. Il ne faut pas admettre non plus que les dieux renoncent à leur existence bienheureuse pour venir administrer nos affaires, ni que les hommes vertueux, dont la vie est sainte et supérieure à la condition humaine, veuillent gouverner les méchants : car ceux-ci ne se sont jamais occupés de faire parvenir les bons au gouvernement des autres hommes et d’être bons eux-mêmes[2] : ils sont même jaloux de l’homme qui est bon par lui-même ; il y aurait en effet plus de gens de bien, si l’on prenait pour chefs les hommes vertueux.

L’homme n’est donc pas l’être le meilleur de l’univers : il occupe, conformément à son choix, un rang intermédiaire. Cependant, dans la place qu’il occupe, il n’est pas abandonné de la Providence ; elle le ramène toujours aux choses divines par les mille moyens dont elle dispose pour faire prévaloir la vertu[3]. Aussi les hommes n’ont-ils jamais perdu la

  1. « Quia nemo superat leges omnipotentis Creatoris, non sinitur anima non reddere debitum. Aut enim reddit debitum bene utendo quod accipit, aut reddit amittendo quo bene uti noluit. Itaque, si non reddit faciendo justitiam, reddit patiendo miseriam. » (S. Augustin, De Libero arbitrio, III, 15.)
  2. Voy. Platon, République, liv. VI, p. 39 de la traduction de M. Cousin. On retrouve d’ailleurs encore cette idée dans le discours de Caton que nous avons déjà cité : « Inter bonos et mahun discrimen nullum ; omnia virtutis prœmia ambitio possidet….. Eo fit ut impetus flat in vacuam rempublicam. »
  3. « Habet illa [creatura] sublimis perpetuam beatitudinem suam, in perpetuum fruens Creatore suo, quam perpetua tenendæ justitiæ voluntate promeretur. Habet deinde ordinem suum etiam illa peccatrix, amissa in peccatis beatitudine, sed non dimissa recuperandæ beatitudinis facultate.