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DICTIONNAIRE DES HERESIES.

qu’il arrive : mais, si l’on est mal engagé, pourquoi ne pas revenir en arrière ! Il s’indigne qu’on propose à l’esprit une foi aveugle : mais on ne propose qu’une foi raisonnable.

Pendant que l’orgueil philosophique se débat, la raison publique a pris l’avance : saturée de rationalisme, elle n’en veut plus. Les théories a priori sont décréditées : on demande des faits. Il y a donc un mouvement réactionnaire, qui doit tourner à l’avantage des traditions, et les hommes de foi ont en ce moment une grande mission à remplir. Mais il faut qu’ils connaissent l’esprit de la génération présente, qu’ils se placent sur le terrain des faits, qu’ils sé mettent en rapport avec la science modèrne, sans se précipiter au-devant des nouveautés, sans admettre légèrement les faits ni accueillir des théories équivoques : la science n’est pas infaillible et ne saurait prévaloir sur la parole sacrée. Que les apologistes chrétiens se tiennent fermes sur les traditions : ils domineront la science et pourront l’attendre : elle arrive, et bientôt elle sera d’accord avec eux. Qu’ils ne craignent point, au reste, de se trouver à l’étroit. Le champ des traditions chrétiennes est vasle : qui saura coordonner ce bel ensemble de faits étonnera toujours par la grandeur des tableaux. Le champ des traditions chrétiennes a de la profondeur : qui saura fouiller dans les cavités qu’il renferme, fera jaillir des sources d’eau vive qui s’élanceront vers les cieux. D’autres feront goûler ce que la religion a d’aimable : ils feront désirer qu’elle soit vraie. « Il se prépare.une réconciliation entre toutes les sciences, dit Riambourg. La philosophie même participe au mouvement : elle avait mission de constater la nécessité d’une révélation : elle y a travaillé longtemps d’une manière indirecte ; c’est directement qu’elle commence maintenant à le faire ; elle ne s’en tiendra pas là. A mesure qu’elle sondera les profondeurs de la conscience humaine, l’accord de l’observation psychologique avec la révélation ne peut manquer de la frapper : à l’exemple de Pascal, elle signalera ce grand trait de vérité ; arrivée à ce point, la raison humaine envisagera d’un autre œil ces marques divines qui servent de sceau à la vraie tradition. Les miracles lui paraîtront mériter l’attention : elle rendra hommage à ceux qui se perpétuent sous nos. yeux ; quant à ceux qui ont servi de fondement à la prédication évangélique, elle reconnaîtra que la critique ne. peut les entamer. Les choses ainsi préparées, rien n’empéchera que la raison et la foi ne renouvellent le pacte antique. Dans ce nouvel accord seront nettement posées les prérogatives de la raison et la prééminence de la foi. Alors tout désordre cesse : le rationalisme est fini. »

Le tableau que nous venons de tracer initie le lecteur aux profondes désolations qu’enfante le rationalisme, système d’orgueil et de bassesse, qui, lorsqu’il désespère de comprendre, se met à nier ; et (ce qui donne de l’horreur) ne pouvant pas plus se rendre compte de sa propre nature que de l’essence divine, les confond toutes deux, soit dans l’ensemble des êtres, le panthéisme, voyez ce mot et Spinosisme, soit dans sa propre apothéose, l’anthropolàtrie l'

Nous ne reviendrons pps sur le rationalisme antique, nous ne nous occupons que de ce rationalisme moderne dont la source actuelle n’est autre que le principe constitutif de la rébellion protestante : la faculté du libre examen.

Si cet examen se bornait aux motifs de crédibilité, rien ne serait plus juste, rien ne serait plus raisonnable ; mais celte recherche ramènerait nécessairement les esprits à la vérification des faits, donc au tèrnoignag e, donc à l’autorité : dès lors le principe fondamental de l’orgueilleuse erreur du seizième siècle serait réduit en poussière. Mais c’est aux mystères eux-mêmes que s’attache ce pernicieux examen, sans s’inquiéter de ce qu’en rigueur logique, la perception de l’ob jet étant la condition de la possibilité de l’examen, celui-ci ne peut s’occuper que d’objets abordables à l’entendement humain, ce qui, en saine raison, devrait l’empêcher de soumettre les mystères à ses investigations : l’orgueil ne raisonne pas ainsi, il ne passe pas à côté des objets qu’il ne peut scruter, et, conséquent jusqu’à la mort de l’intelligence, il les rejette et nie même leur existence. Le protestantisme philosophique en est venu à ce point inévitable. Ne pouvant comprendre Dieu, il le rejette tout au moins dans sa révélation. Voyez Supernaturalisme.

Nous transcrirons ici de belles considérations de M. l’abbé de Ravignan.

« On se demande avec étonnement, dit cet auteur, comment il a pu se faire que, dans tout le cours des siècles, tant d’incertitudes et tant d’incohérences soient venues entraver et obscurcir les recherches laborieuses dans lesquelles l’âme s’étudiait elle-même. L’histoire de la philosophie est en grande partie l’histoire des travaux entrepris par l’esprit humain pour parvenir à se connaître. Ce sont aussi les archives non-seulement les plus curieuses à étudier, mais aussi les plus instructives, si l’on sait en profiter. Quand on veut mûrement y lire et résumer attentivement les données philosophiques sur la nature de l’âme, sur la puissance et les droits de la raison, il trouve alors que deux systèmes principaux sont en présence. « Les uns, frappés des impressions extérieures et sensibles qui accueillent l’homme au berceau, qui l’environnent et l’accompagnent dans toutes les phases de son existence mortelle, frappés de ces relations entretenues sans cesse au dehors par l’action des organes et des sens, les uns, dis-je, ont cru que le fondement de nos connaissances, la puissance réelle de l’âme et les droits de la raison devaient être surtout placés dans l’expérience. C’est ce qu’on a nommé l’empirisme ; et par ce mot, je ne veux pas seulement exprimer ici l’abus, mais encore l’usage de