Page:Poe - Contes inédits traduction William L. Hughes, Hetzel.djvu/8

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Certes, il existe d’autres mondes que celui où nous vivons, d’autres pensées que celles de la multitude, d’autres rêves que les rêves des sophistes. Qui donc se permettra de trouver à redire à ta conduite ? Qui osera blâmer tes heures d’hallucination ou traiter de gaspillage de la vie ces folies où tu dépensais la surabondance de ton énergie indomptable ?

Ce fut à Venise, sous la galerie abritée qu’on nomme Ponte dei Sospiri, que je rencontrai pour la troisième ou quatrième fois le personnage dont je viens de parler. Je n’ai plus qu’un vague souvenir des détails de cette rencontre… Mais si, je me les rappelle ! Comment les aurais-je oubliés ? L’obscurité profonde, le pont des Soupirs, la beauté des femmes, le génie des aventures allant et venant le long de l’étroit canal !

La nuit était d’une obscurité peu commune. La grande horloge de la Piazza avait sonné la cinquième heure de la nuit italienne. La place Campanile était déserte et silencieuse ; les lumières du vieux palais s’éteignaient une à une. Revenant de la Piazzetta, je rentrais chez moi par le Grand-Canal ; mais, au moment où ma gondole arrivait en face de l’entrée du canal San Marco, une voix de femme retentit soudain dans le calme de la nuit, le troublant par un cri sauvage, hys-