Page:Poe - Contes inédits traduction William L. Hughes, Hetzel.djvu/9

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térique, prolongé. Effrayé par ce cri funèbre, je me levai d’un bond, tandis que mon gondolier laissait échapper son unique rame qu’il ne put retrouver dans l’obscurité. Nous dûmes alors nous abandonner au courant qui se dirige du petit chenal vers le grand. Pareille à un immense condor au plumage d’ébène, la gondole s’avançait lentement vers le pont des Soupirs, lorsqu’une multitude de torches, flamboyant aux croisées et sur le perron du palais ducal, vint tout à coup transformer l’obscurité en une clarté livide presque surnaturelle.

Un enfant, glissant des bras de sa mère, venait de tomber, d’une des croisées supérieures de l’édifice élevé, dans le sombre et profond canal. L’onde perfide s’était paisiblement refermée sur la victime. Bien que ma gondole fût la seule en vue, plus d’un robuste nageur luttait déjà contre le courant, cherchant en vain à la surface le trésor qu’on ne devait retrouver qu’au fond du gouffre. Sur les larges dalles de marbre noir conduisant au palais, à quelques marches au-dessus du niveau de l’eau, se tenait une femme dont tous ceux qui l’ont vue se souviennent encore. C’était la marquise Aphrodite, l’adoration de Venise, la plus gaie des folles enfants de l’Adriatique, la plus belle, sous ce ciel où toutes sont ravissantes, la