Page:Poictevin - Songes, 1887-1888.djvu/5

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bouge même pas. Et elle n’y pense plus, s’endormant, ou distraite à quelque objet, un morceau de papier dont elle fait une bête.


Pas d’habillements gris. C’est le rose, le blanc qu’elle aime. Et ses souliers neufs doivent faire cric-crac. Sans ça, c’étaient des souliers pour les vieux.


Un petit Savoyard, sa marmotte sous le bras, demandant la charité, la mère le fit manger près du four. Licette écoute sa maman causer avec le voyageur. — « Quand retourneras-tu au pays ? » — « Quand j’aurai cinq napoléons. » — « Combien en as-tu déjà ? » — « J’en ai encore point. » — « Et tu sauras le retrouver ton pays ? » — « Bien sûr. Est-ce que je ne sais pas son nom !… » — il compte sur ses doigts ses frères, partis eux aussi. Licette est fâchée de ne l’avoir pas eu auprès d’elle à table. Quand il part, elle s’en irait bien avec la marmotte et le déguenillé, en verrait-elle des pays…

Elle s’étendait dans la neige, les bras en croix, s’y enfonçant. Sans idée religieuse, cela l’amusait de former des crucifix.

Et comme la lanterne, par le sentier entre les remblais de neige, s’accompagnait d’un reflet tout semé de scintillements : « Ça brille comme la bague de tante Isabelle », elle disait à Hermine, son œil rivé à la neige.

Un général en tournée, qu’elle a vu passer dans sa voiture, bien à son aise, couvert d’affûtiaux, lui parut habillé comme dans les contes des images d’Epinal. Et elle chercha à s’imaginer l’empereur. Ça devait être encore autrement d’affaires, celui-là…

Qu’elle est contente, à ses sept ans, de perdre ses quenottes, puisque c’est l’âge de raison ! À chaque fois qu’il en tombe une, elle court la cacher dans un endroit qu’elle aime, pour y venir les chercher quand elle sera morte.

Sa mère a dit qu’elle est dure à la souffrance. Et Licette tient à honneur de ne pas crier dans ses maux.

Dans la salle à manger, déserte l’hiver à cause de l’humidité, elle vit sur le plancher une salamandre traîner sa bave, s’enfiler dans le placard. Elle se sent perdue, crie à sa maman. Bientôt celle-ci a pris la bête par le corps avec des pincettes. Et l’enfant jouit que, dans le feu, les pattes gigottent, la tête se tortille. Une salamandre, vous pensez ! si elle voyait clair, elle démonterait un homme à cheval. C’est de cette sale vilaine bête que sa mère l’a délivrée. Depuis, près de sa mère, elle ne redoute rien.

Le Bleu qu’elle aimait tant, dont on ne veut lui avouer