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LA VICTOIRE

— Oh ! non, le président du Conseil veut aller beaucoup plus vite. Il a dépêché hier Lallemand chez tous les ministres et il voudrait que tout fût signé aujourd’hui. Autrand remplacerait Delanney et Bouju Autrand. J’aurais préféré Rault, de Lyon, à Autrand. Mais il serait dangereux que Rault quittât Lyon. Il y est indispensable maintenant pour le maintien de l’ordre public. Je n’ai pas d’inquiétude immédiate. Jouhaux et même Merrheim se conduisent bien. Le seul pacifiste militant de la Confédération du Travail est Péricat. Il faudra un jour ou l’autre prendre des mesures contre lui. Mais le président du Conseil est, pour le moment, tout à la conciliation. Peut-être a-t-il raison aujourd’hui ; mais demain tout peut changer. Il est trop optimiste. Il juge un peu les choses à travers sa popularité personnelle. Le vote des conseils généraux lui a donné certainement une grande force, même parlementaire ; mais l’angoisse que provoquent les événements militaires cessera et l’opinion se relâchera. Je vous dirai franchement que je redoute beaucoup l’hiver prochain. Tant de réfugiés épars sur tout le territoire, avec une nourriture insuffisante, c’est inquiétant. Il serait nécessaire que la guerre se terminât cette année. — Cela, dis-je, me paraît bien difficile. — Tant pis, tant pis ! » Puis il se met à me parler complaisamment de la Catalogne et de l’Espagne. « Je ne sais pourquoi, me dit-il, on me mêle tant aux choses d’Espagne. On attaque en ce moment à Madrid jusqu’à ma vie privée ; on prétend que j’ai de mauvaises mœurs. Je suis cependant bien réservé à l’égard de l’Espagne, je suis, du reste, très franchement royaliste. J’ai des amis fervents en Catalogne. Ils se feraient tuer pour moi et moi pour eux. Ce sont les meilleurs amis de la France. C’est à eux que nous devons que l’Espagne ne se soit pas jetée dans les