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LA VICTOIRE

tance : Est-ce que Clemenceau sait que je lui suis dévoué ? — Oh ! répond Clemenceau, dévoué ? Je ne le crois guère et, du reste, peu importe. Quant à Albert Thomas, il est vraiment trop indécis et trop versatile. Il s’est fait hier du tort, faute de courage dans ces derniers temps. Enfin, le ministère est très solide et j’ai les femmes pour moi ; c’est bien la première fois que ça m’arrive. Dans les rues, je reçois des saluts et je vois les sourires qui s’adressent à moi. Il n’y a rien à redouter, je vous l’assure, de la campagne pacifiste, ni de Briand, ni de ses duchesses. »


Vendredi 10 mai.

Hier, Clemenceau m’a encore dit : « Il y a une chose dont je voulais vous parler. Mais je vous dis tout. Écoutez. Vous m’avez écrit pour Tannery. Il ne faut pas me demander mes raisons dans cette affaire-là. J’ai beaucoup d’estime pour Nobel, qui était un ami de Jacquemaire. Mais Millerand aussi m’a recommandé Tannery, et c’est un recoupement fâcheux. Je ne veux pas la mort de Tannery, mais je n’ai pas confiance en lui. J’ai besoin de quelqu’un qui ait une confiance entière dans le service des listes noires. Je ne puis l’y garder. Il pourra conserver la section économique, je n’y vois pas d’inconvénient, mais pas les listes noires. Quand je suis parti pour Bordeaux, Dieu sait que je ne songeais pas à conspirer contre le gouvernement ! Mes pensées étaient loin de pareils projets. On a cependant voulu m’atteindre. J’étais parti en auto, j’avais eu une panne. Il s’est trouvé que Dreyfus m’a offert sa propre voiture. J’ai accepté. On l’a su et alors, on a monté toute une histoire contre Dreyfus. — Mais, dis-je, j’aurais plutôt cru que cette affaire était montée contre moi, puisque les télégrammes saisis disaient : Élysée pour nous. — Non, non, ce n’était