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LA VICTOIRE

Tracy-le-Val est vide d’habitants. À Tracy-le-Mont, restent quelques vieillards, femmes et enfants.

Je déjeune dans le train avec Pétain, Fayolle, Humbert, Pénelon et les colonels qui commandent les brigades et les régiments de la 38e division. Puis, l’après-midi, avec Humbert et de Salins, je vais voir les troupes de cette division dans leur secteur, et je remets çà et là des fourragères aux gradés et aux soldats qui me sont signalés. À Ourscamp, parmi les zouaves que j’interroge, je trouve un jeune Meusien de Vaucouleurs. Des lisières du bois de Carlepont, je vois Sempigny (pas le mien) occupé par une compagnie du 4e zouaves, formant la garnison d’Ourscamp, Pont-l’Evêque, occupé par l’ennemi, le mont Renaud, partagé entre les Allemands et nous. Sur un autre point de la lisière, plus à l’est, j’ai à mes pieds l’Oise, dont nous tenons la rive gauche et les Allemands la rive droite.

Partout, je constate un excellent moral de nos troupes, mais nos positions sont encore à l’état schématique. La 38e division est arrivée dans le secteur depuis quatre jours. Elle commence à peine à travailler la terre et la main-d’œuvre manque. Des conversations que j’ai eues avec les généraux, je retiens surtout les faits suivants : Pétain, assez confiant maintenant, déclare néanmoins qu’une offensive alliée serait très dangereuse, qu’elle userait nos effectifs sans résultat. Il affirme que, dans la nuit du 23 au 24 mars, il est allé dire au maréchal Haig : « Si vous persistez à vous replier vers le nord, vous allez être acculé à une capitulation en rase campagne, c’est-à-dire à la plus grande humiliation que puisse subir un général. » Mais alors, comment, à la même heure, acceptait-il et faisait-il accepter à Clemenceau l’éventualité d’un abandon de Paris ?