Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 10, 1933.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
LA VICTOIRE

Clemenceau, dans la matinée : « Je viens me plaindre de vous à vous.

— Encore ? Quel est mon nouveau crime ?

— Vous avez indiqué à plusieurs ministres les mouvements que je fais dans l’armée et notamment le remplacement de Dubail. Il y a eu aussitôt des bavardages.

— Oui, hier, à la sortie du Conseil, Leygues, qui était arrivé en retard, a demandé si vous aviez annoncé des changements militaires. J’ai répondu, devant quatre ou cinq ministres qui étaient encore là, que vraisemblablement vous aviez oublié de donner ce renseignement au Conseil, mais que vos intentions étaient arrêtées. Jeanneney, qui était là, a confirmé mes paroles et j’ai donné quelques indications qui, ce me semble, n’avaient rien de confidentiel pour les membres du gouvernement, puisqu’au G.Q.G. tout le monde sait à quoi s’en tenir.

— Oui, mais il y a des ministres qui saisissent toutes les occasions d’intriguer. Alors, je vous serais reconnaissant de ne jamais répéter ce que je vous dis. »

Singulière conception d’un cabinet solidairement responsable !

— J’ai reçu votre lettre. (Une lettre dans laquelle je me plaignais des progrès du pacifisme[1].)

  1. Paris, le 11 juin 1918.

    « Mon cher Président,

    « Après ce qui s’est déjà passé sur l’Aisne, le nombre important de prisonniers que l’ennemi continue à nous faire dans la bataille de l’Oise ne laisse pas d’être inquiétant. Je ne puis m’empêcher d’y voir la marque d’une chute de moral dans nos troupes et on me dit, en effet, de plusieurs côtés que certaines d’entre elles se sont mollement battues. Il y a là un symptôme grave et cet état de choses paraît avoir été, en grande partie, provoqué par les campagnes de certaines feuilles pacifistes, qui ont habilement exploité, d’une part, le récent accord sur les prisonniers et, d’autre part, les prétendues offres de paix que n’aurait pas su saisir le gouvernement de la Ré-