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visite de kerensky

coup de terrain. Encore des heures de tristesse et d’angoisse.

Nouvelles victimes du canon à longue portée, œuvre de Krupp, et désormais appelé Bertha, comme la fille du constructeur. À la fin de la journée, avec ma femme, visite aux morts et aux blessés hôpital Boucicaut et hôpital Buffon.

M. Verlot, député, m’invite à visiter l’École des mutilés de Grignon.


Mercredi 17 juillet.

Sembat m’amène Kerensky et me dit que Thomas n’est pas venu pour me laisser seul avec l’ancien président russe. Lui-même se retire après m’avoir présenté son compagnon. Je trouve celui-ci moins maigre, moins frêle, moins maladif qu’on ne le représente généralement. Mais il a l’air d’un bourgeois très effacé. Il a la figure entièrement rasée, assez pâle. Les yeux ont des reflets noirs et bleus mélangés et ne donnent pas l’impression d’une grande franchise. La voix est pleine, sonore et bien timbrée, avec des accents qui rappellent celle de Briand. Il parle mal le français, cherche ses mots et souvent ne les trouve pas. Il paraît émotif et assez peu maître de lui. Il commence par me dire qu’il y a en Russie, dans l’opinion, une grande majorité favorable à la reprise de la guerre contre l’Allemagne et il m’affirme qu’avant de quitter le pays, il s’est assuré du concours de tous les partis de gauche, de manière à atteindre ce résultat. Il se plaint que notre gouvernement traite aujourd’hui la Russie de puissance neutre, alors que les hommes comme lui ne reconnaissent pas le traité de Brest-Litowsk. Je réponds que chef d’État constitutionnel, je ne puis que laisser au gouvernement le soin de lui expliquer son attitude, mais que je crois exprimer la pensée du président du Conseil et du ministre des Affaires