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la victoire

notamment fronce ses sourcils et Lebrun prend un air sombre. Seul Leygues demande la parole. Il s’explique sur le projet de commission d’enquête et insiste sur le démantèlement de l’exécutif, sur la confusion des pouvoirs et il met en lumière tous les inconvénients de la mesure proposée.

Il renouvelle même mes arguments d’hier avec tant de force que Clemenceau doit supposer qu’il y a eu entente entre Leygues et moi. Mais, en fait, nous ne nous sommes pas dit un mot de la question et nous nous sommes simplement rencontrés dans une même pensée.

Quelques-unes des raisons de Leygues s’appliquent, du reste, par avance, au projet de loi que je n’ai pas encore combattu devant Clemenceau et que j’ai réservé pour un second débat. Clemenceau répond à Leygues en embrouillant les deux questions. Il est extrêmement confus, cherche ses mots, se trompe, se reprend. Il est tout à fait au-dessous de lui-même. « Je ne suis pas, dit-il, un révolutionnaire. Je passe plutôt pour être hostile à une révolution et pour être très énergique dans la défense des droits des gouvernements. Mais je suis, comme vous tous, un idéaliste et un démocrate. Eh bien ! Il faut s’attendre à de grands changements dans la vie des peuples. En fait, je ne puis demander à des officiers de juger des officiers ; ils obéissent tous à la camaraderie. Il faut des civils pour les juger avec impartialité. Quels civils ? Des conseillers d’État ? Je les connais. Nous venons d’en nommer ces jours-ci ! Autant vaudrait prendre des notaires ou des marchands de denrées. Tandis que les commissions parlementaires sont devenues, depuis le début de la guerre, des corps de contrôleurs militaires. Leurs membres vont au front, connaissent tout, voient tout. C’est la logique du