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LA WOËVRE

a écrit Victor Margueritte dans un livre qu’il a publié en 1914 et qu’il nous a dédié, à Mme Poincaré et moi, en termes chaleureux.

Le général Pougin s’oppose à ce que nous allions tous à Vigneulles que les Allemands bombardent aujourd’hui par dépit. Nous laissons donc à Heudicourt Grosdidier et Vallières. La gare de Vigneulles a été incendiée par les Allemands avant leur départ. De la mairie même, il ne reste plus que des tronçons de colonnes, l’hôtel où je suis venu si souvent est détruit. Tout flambe encore autour de nous. Les habitants insistent néanmoins pour ne pas être évacués. Ils nous racontent comment mon ami Picard a été fusillé au début de la guerre et comment sa vieille mère a été si bien entourée par eux qu’elle a ignoré jusqu’à la fin la mort de son fils. Arrive un photographe militaire américain. Il nous photographie tour à tour et demande à ma femme : « Quel est le nom de ce monsieur ? » Ma femme répond : « C’est le président de la République française. — Et vous ? continue-t-il, comment vous appelez-vous ? » Herbillon écrit rapidement notre nom sur une feuille de papier et la donne aux photographes américains. Après quoi, ma femme demande en anglais : « Seriez-vous assez aimable pour nous envoyer une de vos photographies ? — Non, je suis désolé (I am sorry) mais je ne le peux pas ; je suis un photographe militaire et je dois envoyer tout à mon armée. » Un autre photographe arrive, qui manœuvre un cinéma. Je fais signe à nos soldats français qui font cercle autour de nous de se masser auprès de nous deux dans l’objectif ; ils se rendent joyeusement à cette invitation. Ils gesticulent, ils agitent leurs képis et bonnets de police pendant que l’appareil tourne. Le général Pougin, inquiet pour eux à cause du bombardement et de la densité de l’assistance, nous presse de partir. Nous revenons