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LA VICTOIRE

à Heudicourt, nous prenons congé du général, nous rembarquons Grosdidier et partons pour Saint-Mihiel, Woinville et les bois. Nous traversons Saint-Mihiel, qui a repris sa physionomie paisible et, par le même chemin qu’hier, nous revenons à Sampigny, où le train a été garé. Le général Pershing que j’ai invité à déjeuner dans mon wagon et qui m’avait annoncé sa visite pour aujourd’hui, arrive à midi précis. Il est souriant, détendu par la victoire, moins froid, plus libre, simple et modeste. Nous engageons avec lui une conversation que ma femme seule soutient en anglais, que je poursuis dans un jargon anglo-français et que les autres interlocuteurs tiennent en français seulement. Nous commençons par demander à Pershing quelques renseignements sur ses opérations ; il nous les donne de bonne grâce en nous laissant entendre que, si les Allemands se rétablissent sur la ligne Hindenburg, il ne cherchera pas à la forcer, quoiqu’il ne la croie pas très solide en certains points. Il dit qu’il se défendra sagement (wisely). Nous nous mettons à table ; Pershing nous dit que Clemenceau, arrivé, comme Herbillon nous l’avait appris, dans la région, a manifesté le désir d’aller à Thiaucourt. Mais Pershing l’en a empêché, la ville étant très bombardée et les routes trop encombrées. Comme j’ai mis Thiaucourt sur mon programme de l’après-midi, et comme je lui fais part de ce projet, il renouvelle ses objections ; mais je lui réponds en riant : « Thiaucourt is a French town. » (Thiaucourt est une ville française). Il rit à son tour et s’incline de bonne grâce. Il donne même après le déjeuner, à son aide de camp interprète, l’ordre de nous piloter dans une auto américaine qu’il nous laisse à cet effet. Pendant le repas, il exprime à ma femme le désir de voir notre « Clos ». Nous y montons avec lui et dès que nous arrivons devant