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VIVIANI PROTESTE

Au retour, je trouve Viviani, qui m’attend. Ignace lui a parlé du dossier de Florence et il vient m’en dire ce qu’il en sait lui-même. Il y a un véritable libelle de Caillaux sur ce qui s’est passé du 23 juillet 1914 jusqu’à la déclaration de guerre. Viviani s’indigne naturellement contre ce travestissement de la vérité. Caillaux a dit un jour directement à Viviani : « Vous, Viviani, vous êtes responsable de la guerre dans le sens le plus noble du mot. Mais rien de plus. » Et aujourd’hui, s’écrie Viviani, « il croit ou affecte de croire que nous n’avons pas fait l’impossible pour empêcher la guerre ! C’est trop fort ! Il n’est pas possible de jeter à l’histoire un plus insolent défi. D’abord, il dit que nous sommes partis de Pétrograd le 24, c’est-à-dire après l’ultimatum. Or, nous sommes partis le 23 au soir et nous n’avons pas connu l’ultimatum. On savait l’heure de notre départ et on s’était arrangé pour nous cacher tout. En second lieu, Caillaux nous reproche, à vous et à moi, de n’avoir pas subordonné notre réponse à la Russie à l’adhésion de l’Angleterre. Mais nous avons gardé avec Londres un contact de toutes les minutes. Il est fou de prétendre que le 1er août, vous ayez demandé de déclarer la guerre à l’Allemagne. C’est exactement le contraire. Schœn est venu me demander ce que nous ferions si la guerre était déclarée à la Russie. Son gouvernement espérait évidemment obtenir une réponse qui eût un caractère agressif et dont il pût tirer parti. Vous m’avez vous-même conseillé de répondre que nous nous inspirerions des circonstances et que nous consulterions notre intérêt, en un mot, de ne rien dire d’irréparable. »

Mgr Lemaître, évêque du Soudan, ancien père blanc à Carthage, grand, robuste, barbe et cheveux gris, l’air d’un solide paysan, intelligent et fin, croit qu’on ne peut guère espérer recruter