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MALAISE À LA CHAMBRE

mes tournées. J’ai sous les yeux à l’hôpital Saint-Louis le plus lugubre spectacle. Une panique extraordinaire s’est produite à l’entrée de la station Bolivar du métropolitain. La foule, voulant pénétrer, s’est précipitée sur les escaliers. D’où un écrasement formidable. Trente-six personnes ont été étouffées. Les corps sont exposés dans la caserne du Château-d’Eau et à la chapelle de Saint-Louis. Rien de plus horrible. De pauvres gens du peuple, des garçons, des fillettes. Des mères reconnaissent leurs enfants, des enfants cherchent leurs mères. Blessures affreuses, dont la vue m’émeut jusqu’au fond du cœur.

Je poursuis ces douloureuses visites jusqu’à deux heures et reviens présider à l’Élysée le Conseil des ministres. Clemenceau raconte mystérieusement qu’Ignace et lui ont découvert de nouveaux dossiers au deuxième bureau (section des renseignements.)


Mercredi 13 mars.

Pierre Masse me raconte qu’à la Chambre il y a un peu de malaise, d’abord à cause du bruit excessif que fait la presse autour des affaires judiciaires, puis à cause de l’impulsivité de Clemenceau, qu’on ne trouve pas suffisamment entouré de ministres capables de lui résister. Pierre Masse me donne comme exemple la question de l’échange des prisonniers. Comme président de la Commission de l’armée et comme journaliste, Clemenceau avait dénoncé les dangers des échanges ; il avait, même sommé Painlevé de n’y pas procéder. Devenu président du Conseil, il reçoit Charles Bernard et Pasqual, rapatriés dans les conditions les plus étranges. Ces deux députés lui amènent des femmes de prisonniers et aussitôt Clemenceau envoie en Suisse une mission composée de ces parlementaires.