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LA VICTOIRE

Le général Pétain et le général Anthoine me font dire tous les jours par les officiers de liaison combien cette mission les inquiète. J’en ai parlé plusieurs fois à Clemenceau. Il reconnaît à demi-mot qu’il est engagé dans une voie périlleuse ; mais il semble maintenant avoir peur de mécontenter les députés auxquels il a fait des promesses téméraires.

Autre incohérence : la conférence aérienne. Lorsque Clemenceau est arrivé au pouvoir, il se proclamait partisan de représailles. Il a maintenu cette opinion pendant vingt-quatre heures après le premier raid ; puis, tout d’un coup, il a changé d’avis, craignant que les représailles ne provoquassent de nouveaux raids. Il était même convaincu qu’en y renonçant, on amènerait les Allemands à s’abstenir de toute attaque contre Paris. Il m’avait dit sur un ton très catégorique : « Ils ne reviendront pas. » Ils sont revenus et pendant que nous restions tranquilles, nous Français, les Anglais attaquaient les villes du Rhin. Comme je l’indiquais hier au Conseil, il est absurde de ne pas nous entendre avec nos alliés, soit pour faire des raids concertés, soit pour n’en faire ni les uns ni les autres. Personnellement, je préférerais la première solution, car les Allemands ne cèdent qu’à la force ; mais ici encore, Clemenceau obéit à des convictions de prétendue humanité.

Robert de Caix, qui revient d’Angleterre, m’informe que Lloyd George y est combattu par tout le monde, mais qu’il a des chances de n’être pas renversé, faute d’un successeur désigné. Robert de Caix a trouvé les travaillistes plus résolus à la continuation de la guerre que les libéraux.

Painlevé, mécontent que le gouvernement laisse toute liberté aux attaques des journaux contre lui, redoute que cette campagne ne se renouvelle à propos de l’affaire Paix-Séailles. Il se déclare