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LA CONFÉRENCE DE DOULLENS

Il est maintenant tout à fait démonté. Il me parle de l’ingratitude de la population et des Chambres. Il insiste avec sévérité sur le « manque d’idées » de Pétain, et sur « l’ignorance » de Clemenceau. Il prévoit que l’ennemi, après des succès croissants, nous proposera des tractations et il demande que des mesures soient prises en vue de la défense de Paris.

À onze heures, conseil, auquel Clemenceau a convoqué tous les sous-secrétaires d’État. Avant la séance, Clémentel me rapporte que Joffre lui a dit : « Bien que je sois tenu en marge, j’en vois et j’en sais assez pour comprendre que Pétain a péché par les mêmes défauts que lorsqu’il voulait abandonner Verdun. On peut sauver la situation si on le veut sérieusement. »

Malheureusement, il est tard et aux dernières nouvelles de ce matin, nous apprenons un nouveau recul. La ligne passe maintenant fort à l’ouest, et les positions sur lesquelles, hier, il avait été décidé de tenir, sont abandonnées.

Clemenceau commence par me prier avec une évidente intention de politesse de tenir les ministres et les sous-secrétaires d’État au courant de ce que nous avons fait à Compiègne et à Doullens. Je résume rapidement ce qui s’est passé et je laisse intentionnellement à Clemenceau le soin d’exposer plus complètement les choses. Il prend alors la parole, il rend hommage à mon rôle et à l’énergie que, dit-il, j’ai déployée. Il proclame que notre intervention était nécessaire. Les deux généraux en chef, dit-il, n’étaient pas positivement en désaccord, mais il n’y avait pas beaucoup de chaleur dans leur accord et chacun regardait un peu trop de son côté ; et puis Pétain, qui voit toujours non sans raison le mauvais côté des choses, mais qui parfois néglige un peu trop le bon côté, avait donné, il faut bien le dire, des ordres