Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/102

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présente à point pour me ramener dans des chemins moins sinueux et moins escarpés. Il vient me dire qu’à Londres, on lui avait, d’abord, recommandé le secret sur l’arrivée en France de sir John French, le field marshal qui va prendre le commandement de l’armée anglaise. Mais l’Agence Havas a elle-même annoncé le débarquement du général en chef britannique et sir Francis ne se croit plus tenu au silence. Sir John French sera demain à Paris. Nous le savions déjà, en fait, par un télégramme de M. Paul Cambon, qui n’avait rien de confidentiel, et le gouvernement a pensé qu’il n’était pas mauvais que la population, prévenue à temps, réservât au commandant allié un accueil chaleureux. Sir Francis n’en parait pas autrement fâché.

M. Gervais, sénateur, venu voir Félix Decori, mon nouveau secrétaire général civil, lui raconte que le jour où la mobilisation a été décrétée, il a rencontré, non loin de l’Élysée, M. Joseph Caillaux, qui lui a dit : « Ce ministère conduit la France aux abîmes. Elle est perdue, si je ne la sauve pas. Mais il faudra des sanctions, et de sévères. » Si le propos est exact, M. Caillaux reste donc convaincu que sans lui, rien ne peut aller bien et qu’avec lui tout est pour le mieux. Cet égocentrisme est assez fréquent chez les hommes politiques, quand ils se sont attribué les honneurs du Capitole. Il est très probable que, sans le triste drame du Figaro, M. Caillaux serait encore au pouvoir, mais il n’est pas moins probable que, président du Conseil ou ministre des Finances, il n’eût pas agi autrement que ceux de ses amis politiques qui sont membres du cabinet. S’il siégeait aujourd’hui parmi eux, il ne pourrait que rendre hommage aux efforts