Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/142

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aux armes françaises et a produit en Alsace une impression profonde. Il nous conseille d’organiser le plus rapidement possible, au cours même de la guerre, dans les provinces annexées, une administration civile, modelée sur l’administration allemande. Les immigrés s’enfuiront ; ceux des Alsaciens qui, en ces dernières années, se sont rapprochés des Allemands, devront être prudemment écartés ; mais, affirme-t-il, l’immense majorité de la population acceptera joyeusement le retour pur et simple à la France.

M. Jules Cambon, enfin revenu à Paris, me fait, en termes émouvants, le récit de sa longue et pénible odyssée. Il me communique, en outre, les renseignements qu’il a recueillis pendant ses séjours successifs à Copenhague, à Christiania et à Londres. Il a vu le roi de Danemark, qui lui a dit : « Ne rapportez à personne, sauf au président de la République, que je vous ai reçu. Tous ici, nous sommes incroyablement surveillés. Nos vœux intimes sont pour la France et pour l’Angleterre mais nous ne pouvons les exprimer. Nous avons tant à redouter de la colère de l’Empire. » Pendant le séjour de M. Jules Cambon à Copenhague, la princesse Marie, femme du prince Georges de Grèce et fille du prince Roland Bonaparte, est venue le voir plusieurs fois. Il lui a dit : « Je voudrais vous épargner ces dérangements. Permettez-moi d’aller vous voir chez vous. — Non, a-t-elle répondu, vous ne pourriez pas venir sans qu’on vous remarquât et il ne faut pas que l’on suppose que vous rencontrez mon mari. Toute la famille royale de Danemark est espionnée. » M. Jules Cambon ajoute que, malgré cette terreur générale, l’opinion danoise nous est très favorable. À Christiania,