Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/181

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Dans les dispositions, du reste, où vous avez vu M. Clemenceau, il serait capable de confondre l’impulsion avec l’énergie. Peut-être son heure viendra-t-elle, si, comme il est maintenant à craindre, la guerre doit être longue. Mais aujourd’hui, il ferait, à tort et à travers, des coupes sombres dans le commandement de l’armée. Autant sa présence serait utile dans le gouvernement, parce qu’il y apporterait son ardeur et ses éclairs, autant elle pourrait être dangereuse, en ce moment, à la tête du cabinet. Restez à votre place et entourez-vous de quelques hommes dont l’autorité soit indiscutable et qui ne soient pas membres d’un même parti. »

Malheureusement, comme le craignait Viviani, le moindre remaniement ministériel réveille les vieilles habitudes des crises parlementaires et remet en mouvement, dans les couloirs à demi désertés des Chambres, un essaim de frelons et de bourdons. Le président du Conseil veut se hâter et je l’approuve. Il m’amène Marcel Sembat. L’orateur socialiste, qui est un homme de beaucoup d’esprit, a aujourd’hui l’esprit de n’en avoir pas et de ne me parler qu’avec son cœur. Il me regarde loyalement de son œil noir et me dit que, dans les circonstances où nous sommes, je pourrai compter, au besoin, sur son concours mais il trouve prématuré de constituer un cabinet plus large et d’abattre la dernière carte. » Il consultera son parti, mais il n’est pas d’avis, malgré l’exemple belge, que les socialistes donnent, dès maintenant, leur acceptation.

MM. Millerand, Delcassé et Briand, dont l’autorité rehausserait singulièrement le ministère, arrivent ensemble à l’Élysée, après avoir conféré