Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lourde, gaspillage de certaines administrations, décret de clôture, communiqués inexacts ou incomplets, tout était devenu, aux heures sombres, prétexte à récriminations contre moi. Des parlementaires qui se disaient très respectueux de la constitution allaient jusqu’à me reprocher de n’avoir pas pris la dictature et de m’être laissé bâillonner par le gouvernement ; d’autres prétendaient, au contraire, que c’était moi qui avais tout fait, le bien et le mal, le mal surtout, sous le masque des ministres. Que serait-ce si von Klück n’avait pas opéré sa conversion inopinée et si Joffre et Gallieni n’avaient pas habilement saisi l’occasion de l’offensive ? Que serait-ce si nos armées ne s’étaient pas si courageusement battues ? Fatalement, ce serait sur moi que se concentreraient aujourd’hui tous les ressentiments et toutes les rancunes. Demain, au moindre revers, tout recommencera peut-être. Mon métier est d’attirer la foudre sur ma tête, pour qu’elle ne tombe pas sur trop de gens à la fois. Je ne puis m’empêcher de me dire que le peuple juif était heureusement inspiré lorsque, à la fête des Expiations, il chassait dans le désert le pauvre bouc Azazel, chargé de tous les péchés d’autrui. Cet innocent animal serait très bien à sa place dans la bergerie de Rambouillet, près du château présidentiel.

Je reçois M. de Kerguezec, député des Côtes-du-Nord, qui est allié, par sa femme, à une grande famille roumaine et qui revient de Bucarest. Il y a vu notre ami Take Jonesco, qui lui a dit : « Si l’Italie marchait, la Roumanie marcherait certainement aussi, mais pour que l’Italie marchât, il faudrait que la France lui promît quelque chose, la Tunisie, par exemple. » Take Jonesco est trop