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Lundi 28 septembre

Les choses traînent. Millerand m’avoue, dans un tête-à-tête, qu’il est inquiet. Il fait comme moi devant le monde, il cache ses appréhensions ; le seul reproche que j’aie à lui faire, c’est d’être souvent aussi réservé envers moi qu’envers des étrangers, et de manquer, jusque dans nos relations privées, de cet abandon cordial où se plaisait notre jeunesse. Toujours est-il que devant l’aile droite renforcée des Allemands, nous n’avançons plus.

Une inquiétude plus grave encore me vient de la situation de nos armements. D’après les documents que me remet le ministère de la Guerre, elle est beaucoup plus mauvaise que ne l’ont cru successivement Messimy et Millerand, sur la foi des renseignements incomplets qui leur ont été fournis. Il n’est pas vrai, comme on l’avait dit, qu’on fabrique par jour 500 fusils de 1886 ; il n’est pas vrai non plus qu’on transforme quotidiennement 1 000 fusils 1874 en fusils 1886. On ne fabrique directement aucun fusil 1886, on fabrique des mousquetons par lesquels on compte remplacer les fusils 1886 dont sont armés les douaniers et les forestiers et qu’on se propose de donner à la troupe. Quant à la transformation, elle exige une mise en train assez longue et ne pourra commencer que plus tard. L’état de nos munitions de 75 est encore plus alarmant. Le chef du service, le général Gaudin, m’a remis une note détaillée et ne m’a pas celé ses préoccupations. Notre réserve générale de canons de 75 est épuisée. Le plan de mobilisation ne prévoyait, parait-il, la confection d’aucun canon nouveau. Avant le mois d’avril, il avait été mis en commande dans les établissements de l’artillerie 135 canons de 75 légers, modèle 1913, dont