Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/366

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de ce jardin de France, nous poussons jusqu’à Orléans, où notre rêve s’évanouit dans l’hospitalité administrative de la préfecture.

Pendant le trajet, entre deux saluts attendris au paysage, je cause longuement avec Millerand des munitions, de l’artillerie lourde, des mitrailleuses, de tout ce qui nous préoccupe ou même nous tourmente. Dans le tête-à-tête, il retrouve nos vieilles habitudes de confiante intimité, et il sort un peu du mutisme où il s’enferme si volontiers en Conseil.



1. Voir Les Balkans en feu, p. 206 et 207.

Lundi 5 octobre

Nous quittons Orléans à sept heures du matin. Nous traversons Pithiviers, Fontainebleau, qui s’était mis si joyeusement en tenue de fête, l’an dernier, pour honorer Alphonse XIII2 et nous arrivons à Romilly-sur-Seine, paisible ville de l’Aube, où sont installés, dans une vaste école, les services du G. Q. G. français.

Nous trouvons Joffre en bonne santé physique et morale. Il est tel que je l’ai toujours vu, tel qu’il devait être autrefois à Formose, au Tonkin, à Tombouctou, impassible, souriant, et doucement opiniâtre. Voici bien sa taille puissante et massive, son front serein, ses grosses moustaches blanches, ses yeux d’un bleu clair qui brillent sous d’épais sourcils. Tout en lui donne l’impression de l’équilibre et du sang-froid, c’est-à-dire de celles des vertus militaires qui sont peut-être les plus rares et les plus essentielles dans les heures incertaines que nous vivons. Que serions-nous devenus, au lendemain de Charleroi, avec un chef plus