Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/373

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de Poissy, au nord de l’Aisne, jusqu’à la Neuvillette, au nord-ouest de Reims. Elle a à sa droite les restes de l’armée Foch, aujourd’hui décomposée, et à sa gauche les Anglais, qui se reconstituent.

Le général Franchet d’Esperey est un petit homme, robuste, ardent et sanguin, bruni dès son enfance par le soleil d’Afrique, aguerri par des expéditions successives dans le Sud Oranais, le Tonkin, la Chine, le Maroc. Il se plaint un peu de ne pouvoir, en ce moment, aller de l’avant ; mais le général Joffre ne lui en donne pas la liberté, tant à cause du manque de munitions que par crainte de laisser notre aile gauche trop exposée. Franchet d’Esperey, qui connaît très bien les Balkans, où il a été en mission, croit que, si notre front se stabilise en France, il faudrait songer, d’accord avec les Serbes, à prendre les ennemis à revers dans l’est de l’Europe.

Il me présente les officiers de son état-major. J’en reconnais un qui se dissimule modestement derrière les autres. C’est le prince héritier de Monaco, qui sert volontairement comme capitaine dans l’armée française.

Pendant que nous causons avec le général, le canon ne cesse de tonner dans la direction de Reims. Franchet d’Esperey nous donne d’intéressants détails sur la situation de son armée. Les tranchées françaises sont, en certains endroits, toutes proches des tranchées allemandes : trente, quarante, cinquante mètres au plus. Les réseaux de fils de fer barbelés sont parfois communs aux deux armées. Un blessé allemand est resté plusieurs jours entre les deux lignes, sans que ses camarades vinssent pour l’enlever. Toutes les nuits, les patrouilles françaises le retrouvaient à la même