Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/481

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ou par l’invasion, ont dû abandonner précipitamment leurs foyers. Ils se sont éloignés avec une résignation muette, sans révolte et presque sans émoi. Ils ont obéi au réflexe héréditaire d’une race que les siècles ont accoutumée à cette épreuve périodique. Je cause avec quelques-uns d’entre eux, que je connais depuis de longues années. Loin de se lamenter sur leur sort, ils me remercient de ce qu’on fait pour eux. Je laisse à leur intention quelques secours personnels au maire et au préfet, mais qu’est-ce que ces oboles en regard de tant de ruines et de tant de besoins ?

Le maire de Commercy, très aimé de la population, est en fonctions depuis trente ans. C’est mon ami René Grosdidier, maître de forges, qui m’a succédé d’abord à la députation, puis au Sénat. Bien que Commercy soit sous le canon allemand, les usines ne sont pas fermées. Elles travaillent pour la Défense nationale, mais un peu au ralenti, car beaucoup d’ouvriers sont mobilisés. Grosdidier a hospitalisé chez lui deux de mes compagnons de Sampigny, émigrés eux aussi depuis le bombardement du Clos, mon cheval Bijou et mon chien Bravo : tous deux me font fête, sans la moindre déférence pour la magistrature dont je suis momentanément investi. Nous déjeunons dans la maison particulière de Grosdidier au bruit continu du canon et, aussitôt après le repas, nous reprenons notre tournée, qui évoque en moi le souvenir d’autres tournées de jeunesse, faites jadis dans les mêmes communes auprès des électeurs meusiens.

Nous nous rendons sur la route de Gironville et nous nous arrêtons un peu en deçà de la crête des Hauts-de-Meuse et à la gauche du fort. Le