Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/527

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le cardinal Luçon, qu’à l’une de mes prochaines visites, je décorerai moi-même au milieu des décombres.

La vue du glorieux édifice me permet, du moins, de juger, d’un coup d’œil, toute la barbarie de cette guerre. Je m’arrête, consterné, devant la façade ravagée. Le mal est plus étendu et plus profond que ne me l’ont laissé supposer les photographies que j’ai eues entre les mains. Les portails sont outrageusement endommagés ; les verrières ont volé en éclats ; des groupes de sculpture sont tombés en poussière ; des statues sont affreusement mutilées : la reine de Saba, sainte Clotilde, saint Rémi, saint Thierry, le Christ ; la voûte s’est effondrée ; les pierres noircies et calcinées achèvent çà et là de se décomposer. Muet d’horreur, je m’attarde à regarder ce squelette grandiose et lamentable. À quelques pas de moi, l’archevêché est totalement incendié. De l’autre côté de la rue, le malheureux hôtel du Lion d’Or, des fenêtres duquel j’aimais à contempler la basilique chaque fois que je venais à Reims, est aux trois quarts détruit. Seule, la Jeanne d’Arc de Paul Dubois est restée imperturbable sur son cheval de bronze et paraît défier la morsure des flammes.

Le dernier obus qu’ait reçu la cathédrale est tombé le vendredi 4 décembre, au sommet de la tour des cloches. Les précédents avaient atteint, le 28 novembre, l’arc-boutant supérieur du premier contrefort de la nef et la pointe du clocheton de droite, sur le pignon de l’Assomption. On peut remonter ainsi, de jour en jour, jusqu’au commencement de septembre. Dans cette période de plus de trois mois, le bombardement sauvage ne s’est pas interrompu et tout dit qu’il recommencera