Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/558

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m’aviez dit à notre dernière entrevue m’avait déjà prouvé quelles étranges erreurs de psychologie vous commettiez, lorsque vous aviez a priori frappé quelqu’un d’indignité. Mais, tout de même, vous pourriez vous dire qu’à moins d’être un lâche ou un dément, un homme qui a la charge et l’honneur de certaines fonctions doit être, par la force invincible des choses, moralement et physiquement incapable de céder, en des circonstances comme celles-ci, à des calculs personnels. Si vraiment vous ne le comprenez pas, je vous plains d’avoir dans l’âme une si aveugle puissance de haine et de mépris. »

Voilà à quelles justifications un président de la République est condamné, en temps de guerre, par le bon plaisir de M. Clemenceau. Ma lettre restera sans doute sans réponse, mais j’avoue qu’à l’écrire, je me suis senti un peu soulagé.

Plus aimables que les articles de l’Homme enchaîné, les vœux de fin d’année affluent à l’Élysée : vœux du roi d’Angleterre, du roi des Belges, du gouvernement belge, du roi Pierre de Serbie, du prince Alexandre de Serbie, du général Joffre et des armées de la République, que sais-je encore ? Partout la même confiance, partout le même serment de lutter jusqu’à la victoire.

Certes, l’année ne s’achève pas dans des chants de triomphe. L’ennemi a échoué dans toutes ses grandes tentatives ; il a été vaincu devant Nancy, sur la Marne, dans les Flandres ; il est immobilisé partout ; mais nous ne le sommes pas moins et une grande partie de notre territoire reste envahie. Chaque effort que nous avons fait pour renverser la muraille que nous avons devant nous a été effroyablement coûteux et s’est brisé à une