Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/99

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et barbe longue. D’un ton bref et cordial, il m’adresse, à l’entrée et à la sortie, un « salut ! » de compagnon. Lui que j’ai connu distant, glacial, presque hautain, il se livre aujourd’hui à moi sans arrière-pensée, dans une conversation familière. « Je crois, me dit-il, qu’aussitôt remportée une grande victoire française, le gouvernement de la République ferait bien de notifier à la nation allemande, dans un manifeste officiel, que ce n’est pas elle, mais l’empire, que nous combattons. Il faudrait également, à mou avis, proclamer que la guerre finie, nous rendrons la parole à l’Alsace — Lorraine et que nous ne réclamerons aucune conquête. — J’approuve entièrement, lui dis-je, votre idée de bien marquer qu’en résistant à l’empire d’Allemagne, nous ne confondons pas avec lui le peuple qu’il a entraîné. J’ai pris moi-même soin de faire, dans mon message, la distinction nécessaire. — Oui, constate Jules Guesde, et je vous en félicite au nom de tout mon parti. — Vous avez remarqué aussi, continué-je, que j’y ai parlé des réparations légitimes. — Oui, certes, et vous avez eu raison. — Vous pensez bien avec moi, n’est ce pas, que ces réparations nous sont dues et qu’elles sont la condition essentielle du futur équilibre de l’Europe ? — Oui, entièrement d’accord. — Alors, il pourrait être imprudent de dire, sans autres précisions, que nous rendrons la parole à l’Alsace. Les Allemands, parait-il, mettent aujourd’hui les Alsaciens au premier rang de leurs combattants, pour que nous soyons forcés de tirer sur eux. Un mot intempestif pourrait aggraver le péril que courent les annexés. Et puis voici quarante-quatre ans que l’Alsace est envahie par les immigrés. Ils ont pénétré partout, ils ont cherché à détourner