Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 8, 1931.djvu/25

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Un peu avant la route de Béthune, nous descendons dans une marnière profonde, grotte que ne semblent pas avoir utilisée les Allemands avant d’être rejetés de ces lieux et dont nos troupes se servent maintenant comme d’abri. On y accède par un long et étroit couloir, qui forme échelle. Au fond, des hommes assez nombreux sont groupés autour de braseros et de chandelles, qui jettent dans les ténèbres des lueurs agitées.

Nous remontons, nous reprenons nos automobiles à la croisée des routes et nous regagnons Aubigny, où est garé mon train. Je garde l’impression d’une visite rapide aux enfers. Mais eux, ces braves gens, ils restent tous là, et ce qui n’a été pour moi qu’un rêve fugitif, c’est leur vie, leur vie d’hier et de demain, et quelle vie !

Lundi 10 janvier.

Dès le matin, d’Urbal vient me rechercher en gare d’Aubigny et nous repartons pour Arras en automobile. Le général Ligny me raconte qu’hier, Clemenceau est venu, avec deux collègues du Sénat, Gervais et Henri Bérenger, au quartier général du 21e corps et que devant le général Mestre, il s’est répandu en récriminations contre le commandement à propos des opérations de Champagne. « S’il recommence, dit le général avec vivacité, je n’hésiterai pas à le faire arrêter et à le traduire en conseil de guerre. » D’Urbal a cependant à son état-major le frère de Clemenceau, Albert, mobilisé au service des étapes.

Nous nous rendons à Arras, de plus en plus dévasté. Il ne reste presque plus une seule maison intacte. Nous laissons nos automobiles à la gare, effroyablement ravagée. Nous visitons près de là,