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hypothèses cosmogoniques

nique ; et par suite le principe de Carnot, sans être en défaut, ne trouverait pas son application.

193.M. Arrhenius indique une seconde cause qui fait que les nébuleuses, en recevant de la chaleur des soleils, voient leur température, non pas augmenter, mais au contraire diminuer. Il assimile les nébuleuses à des masses gazeuses en équilibre adiabatique, comme celles que nous avons étudiées au Chapitre VIII (Section III), d’après M. Homer Lane. Une telle masse gazeuse a une chaleur spécifique négative ; par suite, un gain de chaleur la refroidit.

Bien entendu il ne peut pas être question, cette fois, de voir dans ce processus un échec au principe de Carnot : c’est, au contraire, en pleine conformité avec ce principe que s’accomplit le phénomène. Considérons, par exemple deux masses, de gaz parfait, toutes deux en équilibre convectif, mais inégalement chaudes[1] : la plus chaude rayonnera vers la plus froide ; cette dernière, recevant de la chaleur, se refroidira encore, tandis que la première, perdant de la chaleur, s’échauffera. Ces températures des deux corps, loin de se niveler, s’écarteront au contraire de plus en plus l’une de l’autre. Ce principe de Carnot est-il violé ? Au contraire, il est pleinement satisfait, puisque la chaleur a passé du corps chaud sur le corps froid. C’est le phénomène inverse, le nivellement des températures, qui l’aurait violé, s’il avait eu lieu.

De cette discussion je ne veux pas tirer de conclusion définitive : il semble que, par ce processus, la mort calorifique de l’Univers sera énormément retardée, mais on peut croire qu’elle ne sera que retardée[2].


  1. On peut, si l’on veut, placer ces deux masses aux deux foyers d’un miroir parfait ayant la forme d’un ellipsoïde de révolution : de la sorte toute l’énergie rayonnée par l’une des masses est reçue par l’autre : on a ainsi l’exemple d’un système fini, où le principe du Carnot ne tend pas à niveler les températures, au moins au début.
  2. Sur les tentatives d’extension du principe de Carnot-Clausius à l’Univers, on peut voir Bernard Brunhes : La dégradation de l’Énergie, Ch. XXIV (Paris, Flammarion, 1909).