Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/83

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Tatiana écoutait avec peine tout ce commérage, mais bientôt, et sans le savoir, la pensée d’un mariage avec Eugène lui devint familière ; elle s’en nourrit et lui livra son âme. Le temps vint et transforma cette pensée en amour. Ainsi le grain tombé dans le sillon germe et se développe sous l’action de la bienfaisante chaleur du printemps. Depuis longtemps, l’imagination de la jeune fille, en proie à l’ennui et à l’excitation d’une vie molle, aspirait sans cesse après un aliment de feu ; depuis longtemps son cœur oppressé gonflait sa poitrine, et sa jeune âme attendait… un ami.


Elle le vit enfin. Ses yeux s’ouvrirent, elle se dit : C’est lui ! À partir de ce moment, ses jours et ses nuits et jusqu’à son sommeil agité sur sa couche solitaire, tout fut rempli de son image.

Partout elle entendait une voix mystérieuse qui prononçait son nom. Hélas ! maintenant tout l’importune, et les paroles aimables, et l’air empressé des domestiques. Plongée dans un profond abattement, elle ne fait aucune attention aux visiteurs, si ce n’est pour maudire leurs loisirs, cause de leur présence importune.