Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/264

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Maire. Introduit dans le cabinet du magistrat, je tirai devant lui mon passe-port : — « Voici, monsieur, lui dis-je, un papier qui m’a coûté 2 francs, et qui, après renseignements fournis sur ma personne par le commissaire de police de mon quartier, assisté de deux témoins connus, me promet, enjoint aux autorités civiles et militaires, de m’accorder assistance et protection en cas de besoin. Or, vous saurez, monsieur le maire, que je suis compositeur d’imprimerie, que depuis Paris je cherche du travail sans en trouver, et que je suis au bout de mes épargnes. Le vol est puni, la mendicité interdite ; la rente n’est pas pour tout le monde. Reste le travail, dont la garantie me paraît seule pouvoir remplir l’objet de mon passe-port. En conséquence, monsieur le maire, je viens me mettre à votre disposition.

J’étais de la race de ceux qui, un peu plus tard, prenaient pour devise : Vivre en travaillant, ou mourir en combattant ! qui, en 1848, accordaient trois mois de misère à la République ; qui, en juin, écrivaient sur leur drapeau : Du pain ou du plomb ! J’avais tort, je l’avoue aujourd’hui : que mon exemple instruise mes pareils.

Celui à qui je m’adressais était un petit homme, rondelet, grassouillet, satisfait, portant des lunettes à branches d’or, et qui certes n’était pas préparé à cette mise en demeure. J’ai pris note de son nom, j’aime à connaître ceux que j’aime. C’était un M. Guieu, dit Tripette ou Tripatte, ancien avoué, homme nouveau, découvert par la dynastie de juillet, et qui, quoique riche, ne dédaignait pas une bourse de collége pour ses enfants. Il dut me prendre pour un échappé de l’insurrection qui venait d’agiter Paris à l’enterrement du général. — Monsieur, me dit-il en sautillant dans son fauteuil, votre réclamation est insolite, et vous interprétez mal votre passe-port. Il veut dire que si l’on vous attaque, si l’on vous vole,