Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/510

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quand, dis-je, M. Jules Simon se livre à ce développement oratoire et lui donne le titre de Religion naturelle, s’imagine-t-il être autre chose que chrétien ?

Un écrivain que le tour de son esprit rend peu capable du travail philosophique, mais d’une prestesse singulière d’intelligence dès qu’il s’agit de ramener à une expression vive et simple le fatras des opinions courantes, M. de Girardin, a pris pour devise la Liberté !

La liberté, avec le talent de M. de Girardin, a fait la fortune de la Presse.

Or, qu’entend par ce mot le célèbre journaliste ? Je le lui demandai un jour : il m’avoua franchement qu’il n’en savait rien. La liberté, pour lui, comme le droit, est un mot qui attend son interprète. Mais il est une chose que M. de Girardin a parfaitement comprise : c’est que tout dans la société étant devenu douteux par la critique, religion, gouvernement, propriété, Justice, il ne reste que l’arbitraire de chaque individu, son bon plaisir, sa fantaisie, et que telle est justement la puissance avec laquelle l’homme d’État doit compter. De là cette théorie originale qui assimile le crime à un risque, la liberté à une assurance, le droit à une indemnité, et qui n’a pas laissé que de conquérir à son auteur une foule d’adhésions.

Voilà donc ce qui nous reste de tant et de si savantes controverses ! Au lieu de la connaissance de l’ordre divin et de la conformité de notre volonté à cet ordre, la faculté d’en croire ce que bon nous semblera et d’agir à notre guise, sauf réciproque assurance : il n’y a pas pour l’homme, s’il faut en croire M. de Girardin, d’autre droit, d’autre devoir, d’autre morale, d’autre liberté, d’autre réalité, d’autre loi !… Ô philosophie !

Et maintenant, qu’est-ce que cet arbitraire final auquel nous pousse le scepticisme universel ? ce bon plaisir qui constitue notre individualité et fait tout notre être ? ce