Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/45

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La Bourse est le monument par excellence de la société moderne.

Ce n’est pas seulement l’atelier, la ferme, le magasin, les docks et les ports, les entrepôts et les comptoirs, la terre et l’océan, qui lui sont soumis et lui payent tribut : elle passe avant l’école, l’académie, le théâtre, les assemblées politiques, les congrès ; avant l’armée, avant la justice, avant l’Église elle-même.

Aucune puissance, ni dans l’antiquité, ni dans les temps modernes, ne peut se comparer à la sienne. Jamais les templiers, les ordres de Jérusalem et de Malte, cette milice des papes qui dominait les empereurs et les rois ; jamais les franciscains, les dominicains ou les jésuites ; jamais les tribunaux vehmiques et la franc-maçonnerie ne produisirent des effets plus prompts, plus universels, plus puissants. Les Alexandre, les César, les Charlemagne, les Napoléon, dans toute leur gloire, n’étaient auprès d’elle que des pygmées. L’imprimerie elle-même, servie par les génies les plus profonds et les plus sympathiques, assistée de la vapeur, est au-dessous de cette puissance souveraine, qui trône, invisible, à la Bourse, et chaque jour y rend ses oracles, non pas toujours équitables, mais toujours sûrs.

C’est là que le philosophe, l’économiste, l’homme d’État, doivent étudier les ressorts cachés de la civilisation, apprendre à résoudre les secrets de l’histoire, et à prévoir de loin les révolutions et les cataclysmes. C’est là que les réformateurs modernes devraient aller s’instruire, et apprendre leur métier de révolutionnaires. On ne peut dire à quelle hauteur ces hommes se fussent élevés, quelle prodigieuse influence ils eussent exercée sur les destinées du globe, si, maîtres de nos flottes, de nos capitaux, de notre industrie, de nos propriétés, ils avaient eu la moindre étincelle de génie spéculatif, s’ils avaient été, dans la plus faible mesure, des prophètes de ce dieu qu’adorent les boursiers.

Tout le monde sait que notre première république tomba sous le poids d’une condamnation portée par la Bourse : le 8 novembre 1799, veille du coup d’État appelé 18 brumaire, le tiers consolidé était à 11 francs 30 centimes ; le 21, il