Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/139

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entre le doit et l’avoir, en un mot de l’arithmétique commerciale.

Or, afin que l’on ne s’imagine pas que la liberté d’acheter et de vendre fait toute la raison de l’égalité des salaires, et que la société n’a de refuge contre la supériorité du talent que dans une certaine force d’inertie qui n’a rien de commun avec le droit, je vais expliquer pourquoi la même rétribution solde toutes les capacités, pourquoi la même différence de salaire est une injustice. Je montrerai, inhérente au talent, l’obligation de fléchir sous le niveau social ; et, sur la supériorité même du génie, je jetterai le fondement de l’égalité des fortunes. J’ai donné tout à l’heure la raison négative de l’égalité des salaires entre toutes les capacités, je vais maintenant en donner la raison directe et positive.

Écoutons d’abord l’économiste : il y a toujours plaisir à voir comment il raisonne et sait être juste. Sans lui, d’ailleurs, sans ses réjouissantes bévues et ses mirifiques arguments, nous n’apprendrions rien. L’égalité, si odieuse à l’économiste, doit tout à l’économie politique.

« Lorsque la famille d’un médecin (le texte porte d’un avocat, ce qui n’est pas d’aussi bon exemple) a dépensé pour son éducation 40,000 fr., on peut regarder cette somme comme placée à fonds perdu sur sa tête. Il est permis dès lors de la considérer comme devant rapporter annuellement 4,000 fr. Si le médecin en gagne 30, il reste donc 26,000 fr. pour le revenu de son talent personnel donné par la nature. À ce compte, si l’on évalue au denier dix ce fonds naturel, il se monte à 260,000 fr., et le capital que lui ont donné ses parents en fournissant aux frais de son étude, à 40,000 fr. Ces deux fonds réunis composent sa fortune. » (Say, Cours complet, etc.).

Say fait de la fortune du médecin deux parts : l’une se compose du capital qui a payé son éducation, l’autre figure son talent personnel. Cette division est juste : elle est conforme à la nature des choses ; elle est universellement admise ; elle sert de majeure au grand argument de l’inégalité des capacités. J’admets sans réserve cette majeure : voyons les conséquences.