Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/262

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volonté souveraine, de l’opinion des majorités et des croyances populaires ; que rois, ministres, magistrats et peuples, en tant que volontés, ne sont rien pour la science et ne méritent aucune considération. Il comprend du même coup que si l’homme est né sociable, l’autorité de son père sur lui cesse du jour où sa raison étant formée et son éducation faite, il devient l’associé de son père ; que son véritable chef et son roi est la vérité démontrée ; que la politique est une science, non une finasserie ; et que la fonction de législateur se réduit, en dernière analyse, à la recherche méthodique de la vérité.

Ainsi, dans une société donnée, l’autorité de l’homme sur l’homme est en raison inverse du développement intellectuel auquel cette société est parvenue, et la durée probable de cette autorité peut être calculée sur le désir plus ou moins général d’un gouvernement vrai, c’est-à-dire, d’un gouvernement selon la science. Et de même que le droit de la force et le droit de la ruse se restreignent devant la détermination de plus en plus large de la justice, et doivent finir par s’éteindre dans l’égalité ; de même la souveraineté de la volonté cède devant la souveraineté de la raison, et finira par s’anéantir dans un socialisme scientifique. La propriété et la royauté sont en démolition dès le commencement du monde ; comme l’homme cherche la justice dans l’égalité, la société cherche l’ordre dans l’anarchie.

Anarchie, absence de maître, de souverain[1], telle est la forme de gouvernement dont nous approchons tous les jours, et que l’habitude invétérée de prendre l’homme pour règle et sa volonté pour loi nous fait regarder comme le comble du désordre et l’expression du chaos. On raconte qu’un bourgeois de Paris du XVIIe siècle ayant entendu dire qu’à Venise il n’y avait point de roi, ce bon homme ne pouvait revenir de son étonnement, et pensa mourir de rire à la première nouvelle d’une chose si ridicule. Tel est notre

  1. Le sens ordinairement attribué au mot anarchie est absence de principe, absence de règle ; d’où vient qu’on l’a fait synonyme de désordre.