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prend, suppose une cause qui le produit dans la personne qui en jouit ; mais, dans l’homme qui naît et qui meurt, dans ce fils de la terre qui passe comme l’ombre, il n’existe, vis-à-vis des choses extérieures, que des titres de possession, et pas un titre de propriété. Comment donc la société reconnaîtrait-elle un droit contre elle, là où il n’y a pas de cause qui le produise ? Comment, en accordant la possession, a-t-elle pu concéder la propriété ? Comment la loi a-t-elle sanctionné cet abus de pouvoir ?

L’Allemand Ancillon répond à cela :

« Quelques philosophes prétendent que l’homme, en appliquant ses forces à un objet de la nature, à un champ, à un arbre, n’acquiert des droits que sur les changements qu’il y apporte, sur la forme qu’il donne à l’objet, et non pas sur l’objet même. Vaine distinction ! Si la forme pouvait être séparée de l’objet, peut-être pourrait-on incidenter ; mais comme la chose est presque toujours impossible, l’application des forces de l’homme aux différentes parties du monde visible est le premier fondement du droit de propriété, la première origine des biens. »

Vain prétexte ! Si la forme ne peut être séparée de l’objet, et la propriété de la possession, il faut partager la possession : dans tous les cas, la société conserve le droit d’imposer des conditions de propriété. Je suppose qu’un domaine approprié produise 10,000 francs de revenu brut, et, ce qui serait un cas vraiment extraordinaire, que ce domaine ne puisse être scindé ; je suppose en outre que, d’après les calculs économiques, la moyenne de consommation annuelle pour chaque famille soit de 3,000 fr. ; le possesseur de ce domaine doit être tenu de le faire valoir en bon père de famille, en payant à la société une rétribution légale à 10,000 fr., déduction faite de tous les frais d’exploitation, et des 3,000 fr. nécessaires à l’entretien de sa famille. Cette rétribution n’est point un fermage, c’est une indemnité.

Quelle est donc cette justice qui rend des arrêts comme celui-ci :

« Attendu que par le travail la chose a changé de forme, si bien que la forme et la matière ne pouvant plus être sé-