Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/235

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même, avec l’être idéal et saint qui vit en lui. Détruisez ce respect du moi, de la société, cette crainte de Dieu, comme dit la Bible, qui est présent à toutes nos actions, à toutes nos pensées ; et l’homme, abusant de son âme, de son esprit, de ses facultés, abusant de la nature, l’homme souillé et pollu, devient, par une dégradation irrésistible, libertin, tyran, misérable.

Or, de même que par l’intervention mystique de la société l’amour impur devient amour chaste, et que la fornication désordonnée se transforme en un mariage paisible et saint ; de même, dans l’ordre économique et dans les prévisions de la société, la propriété, la prostitution du capital, n’est que le premier moment d’une possession sociale et légitime. Jusque-là le propriétaire abuse plutôt qu’il ne jouit ; sa félicité est un songe lubrique ; il étreint, il ne possède pas. La propriété est toujours cet abominable droit du seigneur qui souleva jadis le serf outragé, et que la révolution française n’a pu abolir. Sous l’empire de ce droit, tous les produits du travail sont immondes : la concurrence est une excitation mutuelle à la débauche ; les privilèges accordés au talent, le salaire de la prostitution. En vain par sa police l’état voudrait obliger les pères à reconnaître leurs enfants, et à signer les fruits honteux de leurs œuvres : la tache est indélébile ; le bâtard, conçu dans l’iniquité, annonce la turpitude de son auteur. Le commerce n’est plus qu’un trafic d’esclaves destinées, celles-ci aux plaisirs des riches, celles-là au culte de la Vénus populaire ; et la société un vaste système de proxénétisme où chacun découragé de l’amour, l’honnête homme parce que son amour est trahi, l’homme à bonnes fortunes parce que la variété des intrigues lui est un supplément de l’amour, se précipite et se roule dans l’orgie.

Abus ! s’écrient les légistes, perversité de l’homme ! Ce n’est pas la propriété qui nous rend envieux et cupides, qui fait bondir nos passions, et arme de ses sophismes notre mauvaise foi. Ce sont nos passions, ce sont nos vices, au contraire, qui souillent et corrompent la propriété.

J’aimerais autant qu’on me dit que ce n’est pas le concubinage qui souille l’homme, mais que c’est l’homme qui, par ses passions et ses vices, souille et corrompt le concubinage. Mais, docteurs, les faits que je dénonce sont-ils, ou non, de l’essence de la propriété ? ne sont-ils pas, au point de vue légal, irrépréhensibles, placés à l’abri de toute action judiciaire ? Pm&-je déférer au juge, faire assigner devant les tri-