Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/237

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moine, d’exploiter et rançonner l’ouvrier, de mal produire et de mal vendre ? Le propriétaire peut-il être judiciairement contraint à bien user de sa propriété ? peut-il être troublé dans l’abus ? Que dis-je ? La propriété, précisément parce qu’elle est abusive, n’est-elle pas pour le législateur tout ce qu’il y a de plus sacré ? conçoit-on une propriété dont la police déterminerait l’usage, réprimerait l’abus ? Et n’est-il pas évident, enfin, que si l’on voulait introduire la justice dans la propriété, on détruirait la propriété ; comme la loi, en introduisant l’honnêteté dans le concubinage, a détruit le concubinage ?

La propriété, par principe et par essence, est donc immorale : cette proposition est désormais acquise à la critique. Conséquemment le code, qui, en déterminant les droits du propriétaire, n’a pas réservé ceux de la morale, est un code d’immoralité ; la jurisprudence, cette prétendue science du droit, qui n’est autre que la collection des rubriques propriétaires, est immorale. Et la justice, instituée pour protéger le libre et paisible abus de la propriété ; la justice, qui ordonne de prêter main-forte contre ceux qui voudraient s’opposer à cet abus ; qui afflige et marque d’infamie quiconque est assez osé que de prétendre réparer les outrages de la propriété, la justice est infâme. Qu’un fils, supplanté dans l’affection paternelle par une indigne maîtresse, détruise l’acte qui le déshérite et le déshonore, il répondra devant la justice. Accusé, convaincu, condamné, il ira au bagne faire amende honorable à la propriété, pendant que la prostituée sera envoyée en possession. Où donc est ici l’immoralité ? où est l’infamie ? n’est-ce pas du côté de la justice ? Continuons à dérouler cette chaîne, et nous saurons bientôt toute la vérité que nous cherchons. Non-seulement la justice instituée pour protéger la propriété, même abusive, même immorale, est infâme ; mais la sanction pénale est infâme, la police infâme, le bourreau et le gibet, infâmes. Et la propriété, qui embrasse toute cette série, la propriété, de qui est sortie cette odieuse lignée, la propriété est infâme.

Juges armés pour la défendre, magistrats dont le zèle est une menace permanente à ceux qui l’accusent, je vous interpelle. Qu’avez-vous vu dans la propriété, qui ait pu de la sorte subjuguer votre conscience et corrompre votre jugement ? Quel principe, supérieur sans doute à la propriété, plus digne de votre respect que la propriété, vous la rend si précieuse ? Alors que ses œuvres la déclarent infâme, com-